L’occasion manquée et les regrets :

un tramway de Pau à Bidos

“Le tems s’en va, le tems s’en va, ma Dame:

Las! le tems non, mais nous nous en allons,

Et tost serons estendus sous la lame”

Pierre de Ronsard (1524-1585) – Sonnet à Marie – Continuation des amours XXXV – 1555

Résumé de cet article

Cet article analyse la section de ligne de Pau à Oloron-Sainte-Marie. Avec une fréquentation faible, des creux de desserte, des haltes éloignées, un manque de fiabilité et de robustesse, cette ligne est une vraie déception. Il y a pourtant de vrais regrets à avoir, car au lieu de la restaurer en 2010, il aurait été plus utile de la remplacer par un tramway compact cadencé aux 30 minutes, reprenant les emprises ferroviaires et desservant les centres des villes et villages. Il y avait ainsi moyen de satisfaire aux besoins de transport de la population de Pau à Bidos et de développer les villages traversés par la venue de nouveaux habitants se déplaçant à Pau quotidiennement pour le travail.

Version initiale du 8 septembre 2021, dernière mise à jour au 8 mars 2022

Une fréquentation des voyageurs bien faible

 La fréquentation de Pau à Oloron-Sainte-Marie avec ses 400 à 500 voyageurs par jour est bien faible pour une ville moyenne de 16 550 habitants reliée à une agglomération de 200 401 habitants et passant par les villes intermédiaires de Jurançon avec ses 7 098 habitants et Gan avec ses 5 565 habitants. En semaine, les 16 circulations constituées de 8 allers-retours par jour avec des creux de dessertes de 3h en matinée et de 2h en après-midi ne permettent pas de capter une chalandise conséquente.

 Des villes comparables avec des fréquentations plus importantes

 Il est possible de faire une comparaison succincte avec des villes dont les gares se situent à l’extrémité de lignes desservies par des voies uniques pour la plupart. Ces villes peuvent être des villes touristiques mais aussi des villes proches d’agglomérations plus importantes. Les tableaux suivants prennent en compte le nombre d’habitants dans l’agglomération en 2018, les valeurs de fréquentation en gare par an [1] et par jour sur une base de 365 jours par an, et l’augmentation de fréquentation par rapport à la gare d’Oloron-Sainte-Marie relativement au nombre d’habitants.

 

VillesHabitants de l’agglomérationNombre de voyageurs
201520162017201820192020
Épinal116 2001 143 7051 081 4841 105 3481 013 6691 117 071809 109
Saint-Malo46 4781 107 6331 092 7761 164 3431 135 7931 263 626889 726
Les Sables-d’Olonne44 355392 972395 451413 973386 709416 103287 073
Mont-de-Marsan39 308280 991275 100317 866316 906355 435273 230
Royan35 914238 199225 274223 983182 523230 667158 081
Dieppe35 703513 611479 196505 178502 031557 443376 579
Remiremont31 685266 804250 668263 246242 731272 473170 067
Granville25 791197 782212 199216 105209 162263 943183 469
Auch25 551232 730217 086239 210191 987225 670151 588
Oloron-Sainte-Marie16 55093 88293 23993 27776 51098 36360 818
Briançon16 075183 995183 132169 834142 121156 68199 791
Wissembourg7 519194 148187 709200 694194 074206 134149 990
Givet6 610102 22092 40389 89879 31581 72165 458
Loches6 232224 545222 283214 429220 117231 758196 188
Quiberon4 640100 79898 968102 061101 288116 13881 868
VillesVoyageurs par jourPourcentage de fréquentation supplémentaire
201520162017201820192020201520162017201820192020
Épinal3 1332 9633 0282 7773 0602 21774%65%69%89%62%89%
Saint-Malo3 0352 9943 1903 1123 4622 438320%317%344%429%357%421%
Les Sables-d’Olonne1 0771 0831 1341 0591 14078756%58%66%89%58%76%
Mont-de-Marsan77075487186897474926%24%43%74%52%89%
Royan65361761450063243317%11%11%10%8%20%
Dieppe1 4071 3131 3841 3751 5271 032154%138%151%204%163%187%
Remiremont73168772166574746648%40%47%66%45%46%
Granville54258159257372350335%46%49%75%72%94%
Auch63859565552661841561%51%66%63%49%61%
Oloron-Sainte-Marie2572552562102691670%0%0%0%0%0%
Briançon504502465389429273102%102%87%91%64%69%
Wissembourg532514550532565411355%343%374%458%361%443%
Givet280253246217224179173%148%141%160%108%169%
Loches615609587603635538535%533%510%664%526%757%
Quiberon276271280278318224283%279%290%372%321%380%

En prenant en compte ces différentes villes, on remarque que :

  • les villes de la Région Nouvelle-Aquitaine d’Auch, Royan, Mont-de-Marsan ont des fréquentation de 15 à 60% plus élevée par rapport au nombre d’habitants ;
  • des villes touristiques telles que Saint-Malo, Les Sables-d’Olonne, Granville, Quiberon ont des fréquentations très saisonnières liées au transport ferroviaire ;
  • des villes comme Dieppe et Givet qui sont en bout de ligne attirent considérablement plus les voyageurs ;
  • la petite ville de Loches, située à 42km de Tours, a 2 à 3 fois plus de voyageurs pour une population 3 fois moindre ;
  • une ville de population identique comme Briançon attire deux fois plus de voyageurs.

 On s’aperçoit que :

  • le qualificatif de touristique d’Oloron-Sainte-Marie et de la vallée d’Aspe est quelque peu usurpé, certes il y a du passage pour se rendre chez Lindt ou rejoindre l’Espagne, il y a bien quelques randonneurs et cyclistes, mais ce tourisme est faible par rapport à d’autres vallées voisines telle que la vallée d’Ossau :
  • à Oloron-Sainte-Marie et en vallée d’Aspe, le tourisme ne se fait pas par le transport ferroviaire mais par la voiture ;
  • sur les déplacements pendulaires, le train n’attire manifestement pas beaucoup.

 Un évitement qui ne sera pas miraculeux

 Le type d’exploitation en voie unique et CAPI (Cantonnement Assisté Par Informatique) permet difficilement d’augmenter le nombre de circulations. Ce nombre de circulations bien faible est pourtant trop élevé au regard des capacités de ce type d’exploitation d’où une demande de dérogation à l’EPSF (Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire) qui doit être renouvelée annuellement. On se doute que l’EPSF attribue sa dérogation à la condition de trouver une solution pérenne.

 C’est pourquoi une hypothèse de plus en plus envisagée consiste à réaliser un évitement à Buzy avec un changement d’exploitation de type block manuel ou automatique [2] [3]. Même s’il permettrait d’améliorer la situation de la desserte, cet évitement et ce changement d’exploitation ne seront pas la solution miracle. En effet, des dessertes à l’heure aux pointes et contre-pointes et de 1h30 à 2h00 en journée permettrait d’avoir, au mieux, 24 circulations en semaine constituées de 12 allers-retours par jour. Ce ne sont pas la réalisation de cette voie d’évitement et ce changement d’exploitation qui permettront de fondamentalement modifier les choses en permettant le croisement des trains.

 Tout ceci à condition bien sûr que le gestionnaire d’infrastructure accepte de réaliser les travaux et que l’exploitant accepte de proposer autant de circulations. On voit mal le gestionnaire d’infrastructure mettre quelques millions d’euros pour installer une commande de block manuel ou automatique puis supprimer celle-ci quelques années plus tard pour passer en ERTMS niveau 1 tel qu’envisagé par les études de convergence [4], sachant que l’ERTMS en niveau 1 n’apporte que peu de plus-value par rapport à une commande de block manuel ou automatique.

 Un constat d’échec

 Formellement, cette ligne ferroviaire est mal faite, mal desservie, mal gérée… Elle n’attire pas ! Est-ce le cadencement insuffisant ? les horaires mal adaptés ? les gares éloignées des centres-villes ? les automotrices thermiques X73500 peu agréables et peu confortables ? le manque de fiabilité et de robustesse ? la durée importante du trajet ? A ce propos, les nombreuses demandes d’augmenter la vitesse des trains pour diminuer la durée des trajets à 30 minutes sont toujours restées lettre morte [5] [6]. C’est donc certainement un peu de tout cela qui explique la désaffection, mais surtout le sentiment que dans cette vallée, le train n’est pas une alternative à la voiture car, hors la voiture particulière, il est difficile de se déplacer. Toute personne ayant les moyens de conduire possède son véhicule et ne voit donc pas l’intérêt d’utiliser le train. L’on prend son véhicule pour se déplacer dans les villages, pour aller à son travail, pour faire ses achats, pour se rendre à Pau… Il est d’ailleurs fort à parier que la situation empirera une fois que l’autoroute de Lescar au Gabarn sera réalisée.

 Finalement, ne prennent le train que ceux qui ne sont pas motorisés ou qui y voit un gain de temps appréciable, c’est à dire peu de monde. En définitive cette ligne ferroviaire, malgré tous les investissements consentis, est une véritable déception…

 Beaucoup de regrets

 Et pourtant, il y a beaucoup de regrets à avoir. En effet en 2010, plutôt que de rénover la voie et d’enlever définitivement les caténaires, il y avait certainement mieux à faire. Si la volonté politique avait été là, il y avait l’occasion de transformer cette voie ferroviaire en voie tramway fonctionnant sous le régime de la marche à vue.

Un tramway desservant Pau, puis passant par le Pont du 14 Juillet afin d’éviter le pont polygonal qui accuse déjà des signes de fatigue, puis reprenant les emprises ferroviaires actuelles en roulant à 70km/h en campagne, en en sortant pour desservir les centres-villes de Jurançon, Gan, Buzy, Buziet, Ogeu-les-Bains, Herrère, les quartiers Notre-Dame, Sainte-Croix et Sainte-Marie d’Oloron-Sainte-Marie puis se terminant à Bidos aurait certainement été un vrai succès. Ce tramway aurait pu assurer des missions toutes les 15 minutes vers Jurançon et Gan et toutes les 30 minutes vers Oloron-Sainte-Marie, avec éventuellement une boucle interne à Oloron-Sainte-Marie cadencée aux 15 minutes. Une remise à niveau de la plateforme de Buzy à Laruns et aux Eaux-Bonnes aurait pu être envisagée, ce qui aurait certainement été plus utile que d’utiliser cette ancienne voie ferrée en voie verte qui n’intéresse que bien peu de monde. Un matériel roulant de type tramway compact avec un aménagement comprenant une majorité de places assises aurait été l’idéal.

 Ce type de liaison par ré-emprunt des emprises ferroviaires est d’actualité. C’est le cas à Aubagne avec le prolongement prochain de l’actuel tramway sur la ligne de Valdonne, de la réalisation d’une liaison par tramway du Havre à Montivilliers par Rolleville, de la réalisation du tramway d’Annecy. Pau et Oloron-Sainte-Marie ont raté l‘occasion d’être les pionniers de ce type de tramways beaucoup utilisés dans les pays d’Europe de l’Est.  

 Une telle liaison n’aurait eu que des avantages : dessertes des centres-villes, cadencement aux 15 à 30 minutes, services tôt le matin et tard le soir, confort du matériel électrique, pas de nécessité d’aménager les passages à niveaux de caméras pour satisfaire à la dérogation de la directive Bussereau, pas de nécessité de supprimer le passage à niveau d’Herrère, pas de nécessité de rénover le pont polygonal, pas de besoin de faire une plate-forme apte à une charge à l’essieu de 22,5t, plus grande robustesse et fiabilité… Donc, avec des investissements mieux ciblés, des coûts d’investissement et d’exploitation moindres, il y avait moyen de satisfaire aux besoins de transport de la population de Pau à Bidos et de développer les villages traversés par la venue de nouveaux habitants se déplaçant à Pau quotidiennement pour le travail.

 Malheureusement, une telle solution technique signifiait en finir définitivement avec la ligne Pau – Canfranc – Saragosse : une ignominie pour nos politiciens locaux qui préfèreront toujours des trains, quitte à ce qu’ils voyagent à vide, plutôt que de renier leurs idéaux, même si ces derniers sont foncièrement mauvais.

 Quelques références

[1] : Fréquentation en gares – https://ressources.data.sncf.com/ – SNCF Gares et Connexions – 3 septembre 2021

[2] : Gare de Buzy : l’évitement qui pourrait tout changer – Olivier Bonnefon – Sud-Ouest – 4 mars 2019

[3] : Ligne Pau-Oloron : la Région veut réactiver le croisement de Buzy – Gildas Boënnec – La République des Pyrénées – 31 décembre 2020

[4] : Superando las conexiones perdidas entre España y Francia: Estudios para la rehabilitación de la sección ferroviaria Transfronteriza Pau-Zaragoza – 7. Estudios preliminares para la modernización y preparación de la futura explotación de la sección Zaragoza – Canfranc – Ministerio de Fomento, ADIF – abril 2019

[5] : Oloron – Pau: pourquoi les trains traînent – Sébastien Lamarque – La République des Pyrénées – 29 septembre 2011

[6] : Train : les usagers veulent un Pau-Oloron plus rapide – Anne Pouchan – La République des Pyrénées – 15 mai 2013