Conférence “Liaisons ferroviaires transfrontalières :


favoriser la cohésion entre les régions et leurs citoyens”

Résumé de cet article

Cet article analyse la conférence des 10 et 11 juin 2021 sur les liaisons ferroviaires transfrontalières pour laquelle M. Federman intervenait au nom de la Région Nouvelle-Aquitaine afin de présenter le projet de réouverture de la ligne Pau – Canfranc – Saragosse. Les sujets traités durant ces deux jours montrent que cette ligne n’a vraiment pas sa place et est anecdotique dans une conférence où l’on discute de lignes ferroviaires beaucoup plus importantes et stratégiques. Finalement, seul le bel autoportrait de Goya sera retenu de la présentation de M. Federman.

Version initiale du 14 décembre 2021, dernière mise à jour au 8 mars 2022

L’Année Européenne du rail

Les 10 et 11 juin 2021 a eu lieu par internet une conférence sur les “Liaisons ferroviaires transfrontalières : favoriser la cohésion entre les régions et leurs citoyens” à laquelle la Région Nouvelle-Aquitaine a participé [1]. Cette conférence a été réalisée dans le cadre de l’Année Européenne du rail, et a été organisée par le MOT (Mission Opérationnelle Transfrontalière) et l’Eurodistrict PAMINA (Palatinat du Sud, Mittlerer Oberrhein, Nord de l’Alsace).

La conférence s’est déroulée sur deux journées durant lesquelles de très nombreux intervenants de différents pays ont présenté leurs projets respectifs. La première journée portait sur l’impact de la crise sanitaire sur les liaisons ferroviaires transfrontalières. La seconde journée, bien plus intéressante, portait sur les liaisons manquantes et sur les actions à mener pour réduire les fractures ferroviaires entre les états. C’est durant la table ronde sur les liaisons manquantes animée par Patrice Harster, Directeur Général des Services de l’Eurodistrict PAMINA, que Luc Federman, Directeur général adjoint du Pôle Transports Infrastructures Mobilités et Cadre de vie à la Région Nouvelle-Aquitaine, est intervenu au nom de la Région Nouvelle-Aquitaine afin de présenter le projet de réouverture de la ligne Pau – Canfranc – Saragosse.

Une traduction simultanée de mauvaise qualité

Bien que la plupart des intervenants soient français ou allemands et parlent souvent en français ou en allemand, la conférence est traduite simultanément en anglais et la traduction est de très mauvaise qualité avec beaucoup de silences et donc des paroles potentiellement intéressantes qui ne sont pas retranscrites. Malheureusement, uniquement la version anglaise est disponible en vidéo [2] [3]. Les retranscriptions ci-dessous sont refaites en français à partir de l’anglais et ne peuvent donc pas parfaitement refléter les propos exacts des intervenants. Seul, M. Chantraine a parlé dans un bon anglais très explicite et facile à traduire.

Intervention de Luc Federman

L’intervention de M. Federman est visible en vidéo de 00h47min23s à 01h03min10s [3], intervention que les plus magnanimes qualifieront de moyenne et que les plus sévères qualifieront de médiocre. Tout d’abord, M. Federman signale qu’un vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine devait parler à cette conférence mais est absent, absence justifiée par les élections régionales, et que c’est donc lui qui le remplace au pied-levé et fait la présentation à sa place. On ne saura pas qui est ce vice-président qui devait intervenir, mais on comprend qu’une élection régionale est manifestement plus importante qu’une heure de présence à cette conférence.

Dans son intervention, M. Federman montre que le support de l’Union Européenne est financier, mais également politique. Il indique qu’uniquement 3% du fret est transporté par les trains entre la France et l’Espagne ce qui reste faible par rapport à la situation dans les pays alpins. D’un point de vue économique, il souligne la possibilité de faire circuler des trains de fret reliant de nombreuses villes dont Barcelone. Sur l’aspect environnemental, il explique qu’il y a beaucoup de touristes à Saragosse, mais aussi beaucoup de voitures et qu’il serait bien de plus utiliser les trains pour favoriser le report modal. Il a l’espoir de rouvrir la ligne pour 2027. Il annonce que la ligne de Canfranc à Saragosse est l’une des quatre lignes en Espagne à expérimenter les trains à hydrogène ce qui fait un projet dans le projet. Il espère ainsi supprimer 200 poids-lourds par jour en basculant les marchandises sur le ferroviaire tout en reconnaissant que ce nombre reste objectivement faible, mais représente une contribution importante pour une route de montagne. Comme à l’habitude, l’intervention se termine sur l’inénarrable couplet sur Francisco de Goya, qui doit bien se demander pourquoi l’on cherche constamment à l’emmener dans cette galère.

Support de présentation

La présentation de M. Federman est en version française durant la conférence, mais le document disponible en téléchargement est en version anglaise [4]. On remarquera la qualité assez piètre de l’anglais avec de nombreuses fautes de syntaxe et de grammaire ce qui rend la lecture malaisée voire très vite pénible. Tout ceci n’étonnera personne vu que le Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine est plus enclin à développer et promouvoir l’occitan plutôt que l’anglais !

Dans sa présentation, M. Federman assène quelques contre-vérités dont la première consistant à dire que ce projet est soutenu par les états, dont l’état français, au travers d’un “projet partenarial fort” ce qui n’est pas vraiment le cas à moins que l’on ne nous prouve le contraire. Il ose également affirmer que cette ligne “répond au besoin d’interconnexion de la péninsule ibérique avec le reste de l’Europe” et que cette ligne est “le trajet le plus direct”. Force est de constater que M. Federman n’a jamais utilisé les couloirs atlantique et méditerranéen, auquel cas il saurait que le trajet le plus direct n’est certainement pas par Canfranc. A se demander même si M. Ferderman est déjà allé en Espagne ?

Il indique que la réouverture est “compatible avec la création d’une autoroute ferroviaire de courte distance, de type alpin”. Tout d’abord, les autoroutes ferroviaires alpines ne sont pas de courte distance. Exceptée l’autoroute ferroviaire entre Aiton et Orbassano de 175km, les autres autoroutes ferroviaires font plusieurs centaines de kilomètres. Ensuite, la création d’une autoroute ferroviaire sur l’axe Pau – Canfranc – Saragosse est loin d’être acquise, les problématiques de gabarit et de sécurité dans les tunnels condamnent actuellement la possibilité de ce type de trafic. D’autre part, il estime à “2 millions de tonnes de marchandises captables” et “160 à 220 poids-lourds / jour pouvant basculer sur le ferroviaire” ce qui constitue un “report modal massif”. Le tour de passe-passe sévit encore car ces valeurs sont très vite et trop vite extrapolées du “Livre Blanc” [5] en page 29, où il est pourtant indiqué qu’il s’agit du “volume total des marchandises potentiellement captives, obtenu via la somme des volumes de trafic déclaré par les acteurs interrogés”. En clair et une fois de plus, l’on confond le trafic potentiel issu de sondages auprès d’entreprises locales avec l’éventuelle réalité d’un trafic de marchandises qui sera certainement bien inférieur à ces 2Mt/an.

Séance de questions réponses

A cette présentation, suit une séance de questions réponses de 01h03min20s à 01h10min10s entre M. Harster et M. Federman dont la retranscription suit :

  • Patrice Harster : « Vous avez déjà reçu des fonds européens, intéressant de savoir pour nous comment TEN-T sera revu, le problème est de convaincre les Etats Membres, dites-nous comment vous allez le faire ? »
  • Luc Federman :  « je dirais que c’est une lutte, et pour réussir, il faut s’engager dans la bataille et persévérer, … est environ à 1 000km de Paris, où les décisions politiques sont prises au niveau national et ils ne sont pas au courant de ce qui se passe dans les régions éloignées, il n’y a pas de formule magique, vous devez vous engager au bon niveau, les inviter, allez les voir, une chose qui nous a aidé c’est que cette sorte de zone morte dans les montagnes et l’attractivité de l’Espagne et du Portugal au moins jusqu’à la crise, il y avait beaucoup de croissance dans ces pays, et le trafic ne venait pas seulement d’Espagne et du Portugal, mais aussi d’Afrique du Nord, il y a beaucoup de marchandises depuis l’Afrique du Nord, qui passent par les ports d’Espagne et du Portugal, d’où cet aspect économique. En 2013, nous avons géré une license de TEN-T, nous avons fait un dossier très professionnel, et ce n’est pas une priorité dans la politique des transports nationaux, nous ne sommes pas à la fin de notre bataille, nous avons toujours besoin de réussir à obtenir les fonds pour la construction, la bataille n’est pas encore gagnée, mais nous avons fait un bon travail de fond et la coopération France Espagne sur ce sujet est très bonne et très forte, tous les 3 mois nous avons une réunion de travail, nous avons commencé à nous connaître et je commence à me faire connaître auprès des instances de la Commission Européenne, c’est aussi une question de crédibilité pour vendre un projet crédible »
  • Patrice Harster : « Une question finale, vous vous positionnez dans un réseau global, vous avez particulièrement parlé de l’électrification de la ligne, est-ce une exigence pour recevoir des fonds européens, ou cela peut-il se faire progressivement ou plus tard ? »
  • Luc Federmann : « Peut-être que les représentants de la Commission Européenne seraient les mieux placés pour en parler, mais je vais dire ce que je sais, selon les règles européennes, TEN-T exige l’électrification pour 2050, nous pensons que 2050 est trop tard, les études faites par la SNCF et l’ADIF disent que ce n’est pas réaliste, et c’est pourquoi nous avons opté pour 2040 et nous espérons le faire plus tôt, et nous recherchons d’autres types d’énergie qui soient environnementales, comme les batteries rechargeables, le bio-gaz, l’hydrogène, donc nous recherchons activement toutes sortes d’options alternatives, et il y a une opportunité car il y a en Espagne un plan ambitieux d’hydrogène et quatre lignes ont été identifiées, dont la ligne Saragosse – Canfranc, la ligne de Canfranc qui se situe aux deux-tiers en Espagne, nous allons faire rouler des trains à hydrogène, nous comptons sur cela, il y a une unité d’hydrogène près de Huesca, très proche de la ligne, nous pensons donc que 2040 serait un bon compromis, mais si nous pouvons aller plus vite nous le ferons »
  • Patrice Harster : « Très bien,… »

On en déduit aux réponses de M. Federman qu’il a fallu un lobbying fort et intense qui frise à la corruption pour obtenir les subventions de l’INEA, qu’il n’y a eu aucune aide du gouvernement français et que les subventions ont été obtenues de justesse. Comme d’habitude est ressorti l’argument facile, éculé et absolument fallacieux du jacobinisme de “Paris” qui ne comprendrait rien à ce qui se passe en Province. De plus, faute d’électrification qui arrivera bien tardivement, il n’y a pas d’autres solutions que de vendre à l’INEA une traction à hydrogène et batteries. On demande à voir car tracter une automotrice ou un train de marchandises avec des batteries ou une pile à combustible sur une ligne avec des déclivités de 43‰ corrigées à 46,5‰ n’est pas encore acquis.

Intervention de Philippe Voiry

Philippe Voiry est ambassadeur pour les connections transfrontalières au sein du Ministère Français pour l’Europe et les Affaires Etrangères. Son intervention est visible en vidéo de 01h43min00s à 02h01min10s [3]. A 01h44min21s, il présente la carte du réseau ferré européen qui connecte tous les territoires en disant “Je pense que vous connaissez cette carte par cœur, il s’agit de la carte des corridors européens”. Cette carte oublie allègrement la ligne Pau – Canfranc – Saragosse et manifestement, M. Federman ne l’a pas encore apprise par cœur !

Intervention de Philippe Chantraine

Philippe Chantraine est en charge des questions ferroviaires au sein de la Commission Européenne à Bruxelles. Son intervention est visible en vidéo de 02h01min11s à 02h21min54s [3]. Il explique en quoi consiste la politique en faveur du chemin de fer au travers du programme TEN-T. L’objectif est de faire un meilleur réseau en Europe avec 4 axes :

  • Cohésion : toutes les régions sont connectées entre elles ;
  • Efficacité : réseau efficace (prendre l’exemple de l’incident de Rastatt comme contre-exemple), paramètres techniques standards, interopérabilité ;
  • Durabilité : réseau en cohérence avec l’Accord de Paris sur le Climat ;
  • Bénéficiaire aux usagers et aux industries.

Du système TEN-T, le Core Network est le plus important, la politique est revue en 2023 et certainement plus tôt en raison du Green Deal. Sur ces corridors, l’objectif est d’augmenter le trafic de marchandises et la haute vitesse de 50% d’ici 2030 et de 100% d’ici 2050. Pour le Comprehensive Network, auquel appartient la ligne Pau – Canfranc – Saragosse, les objectifs sont pour 2050.

Clairement, dans tout son discours de très haut niveau, la malheureuse ligne Pau – Canfranc – Saragosse n’a vraiment pas sa place !

Intervention de René-Laurent Ballaguy

René-Laurent Ballaguy a la charge de la Banque Européenne d’Investissement (European Investment Bank) à Luxembourg. Son intervention est visible en vidéo de 02h22min23s à 02h31min15s [3]. Il explique la politique en faveur du chemin de fer au travers du programme TEN-T. Il indique que les futurs projets financés doivent être en accord avec l’Accord de Paris sur le Climat, ce qui pose un problème avec la ligne Pau – Canfranc – Saragosse qui ne sera pas électrifiée. Il montre qu’en 2020, 1.7% des fonds sont allés à la France, 15,0% à l’Espagne et 18,0% à l’Italie qui sont les trois pays à avoir reçu le plus de prêts. Il n’y a pas beaucoup de projets ferroviaires financés à l’heure actuelle, excepté le projet franco-italien de plateforme ferroviaire entre Turin et Nice qui doit être développé.

Conclusion

Quoique l’on puisse penser de l’intervention de M. Federman, la présence de la ligne Pau – Canfranc – Saragosse avec ses 500 passagers par jour au maximum dont 30 à 50 à Canfranc était quelque peu anecdotique et faisait tâche dans une conférence où l’on discutait de lignes autrement plus importantes comme le Léman Express (30 000 à 32 000 voyageurs par jour), Belfort – Bienne, Györ – Ebenfurth, Trieste – Ljubljana, Berlin – Szczecin, Berlin – Poznan, Berlin – Breslau, Colmar – Fribourg (hypothèse de 3 490 à 5 880 voyageurs par jour), Karlsruhe – Rastatt – Haguenau – Obermoden – Saarbrücken (hypothèse basse de 6 000 voyageurs par jour). On se consolera en se disant que cette conférence a été peu suivie et est restée assez confidentielle. Finalement, on retiendra de la présentation de M. Federman le bel autoportrait de Goya, n’est-ce pas cela le plus important ?

Quelques références

[1] : Conférence “Liaisons ferroviaires transfrontalières : favoriser la cohésion entre les régions et leurs citoyens” – Année européenne du rail – http://www.espaces-transfrontaliers.org/conference-eyr-06-2021-fr/ – MOT, Eurodistrict PAMINA, Comité européen des Régions – 10 et 11 juin 2021, en ligne

[2] : Cross-border rail connections Day 1 – https://www.youtube.com/watch?v=JQsWEP1TXuI – 10 juin 2021

[3] : Cross-border rail connections Day 2 – https://www.youtube.com/watch?v=5lmfjB7e10M – 11 juin 2021

[4] : Reopening of the Pau-Canfranc-Zaragoza cross-border rail line – European year of rail 2021 Cross-border rail connections: fostering cohesion between regions and their citizens – Nouvelle-Aquitaine Region – 10th and 11th of June, 2021

[5] : Livre Blanc – Les leviers d’optimisation du trafic de la ligne Pau-Canfranc-Saragosse – Avec le projet Canfraneus – Fundacion Transpirenaica, Région Nouvelle-Aquitaine, Interreg POCTEFA, Gobierno de Aragon – décembre 2019