Trafic de marchandises d’hier sur

la ligne Pau – Canfranc (1949-1969)

“C’est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises et

qui établit les vrais rapports entre elles.”

Montesquieu (1689-1755) – Chapitre IX – De l’esprit des lois – 1748

Dans le prix des marchandises, il y a le prix du transport. Montesquieu ne s’est pas trompé, la concurrence qui donne le prix juste aux marchandises donne le prix juste au transport. Et c’est ainsi que les rapports entre les transpyrénéens sont régis par le prix du transport. La ligne Pau – Canfranc – Saragosse avec toutes ses difficultés en a fait l’amère expérience.

Résumé de l’article

Cet article utilise les archives de la SNCF pour estimer le trafic de marchandises sur la ligne Pau – Canfranc – Saragosse de 1949 à 1969. Ainsi, avec au maximum de 226 000t en 1969, valeur certainement très surestimée, ce trafic n’a jamais décollé contrairement au trafic aux extrémités des Pyrénées à Irun et Portbou qui a cru d’un facteur 6 à 7 à la même époque pour accaparer plus de 85% du trafic total des voyageurs au travers des 4 lignes ferroviaires existantes en 1969. Enfin, des publications, quelques articles de journaux ou de livres viennent consolider ces assertions.

Version initiale du 8 septembre 2021, dernière mise à jour au 11 mars 2022

Les cartes de trafic annuel de marchandises de la SNCF

 Le trafic de marchandises sur la ligne Pau – Canfranc de 1949 à 1969 postérieure à la fermeture de 1936 à 1948 et sur les autres lignes pyrénéennes jusqu’en 1976 est connue par les archives de la SNCF qui fournit des cartes de trafic annuel de marchandises sur l’ensemble de la France [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] ainsi que par la revue interne de la SNCF qui fournit le trafic annuel en 1953 et 1966 [10]. En reprenant les valeurs indiquées sur ces cartes, il est possible d’en déduire le trafic annuel de marchandises sur les différentes lignes pyrénéennes, sur les quatre transpyrénéens, ainsi que la répartition du trafic de marchandises sur ces quatre transpyrénéens. Cependant, autant les valeurs de trafic pour Hendaye et Cerbère sont notées explicitement, autant les valeurs pour les autres lignes ne sont pas notées mais à estimer à l’épaisseur du trait tellement le trafic est considéré comme faible. Ces valeurs en tonnes sont des moyennes largement surestimées et qui ne prennent pas en compte le point de passage à la frontière mais tout le trafic de la ligne même sans passage à la frontière.

 

Trafic annuel moyen de marchandises sur les lignes pyrénéennes
 194919521955195819631966196919721976
Bayonne – Hendaye190 895221 190335 800452 600784 7501 051 2001 069 4501 346 8501 233 700
Bayonne – Saint-Jean-Pied-de-Port27 740 109 500109 500109 500109 500109 500109 50018 250
Buzy – Canfranc48 910 18 250109 500109 500109 500226 30000
Buzy – Eaux-Bonnes52 925 18 250109 500109 500109 500109 50018 25018 250
Tarbes – Bagnères-de-Bigorre37 96052 92518 250109 500109 500109 500109 50018 25018 250
Montréjeau – Bagnères-de-Luchon69 71564 970109 500109 500109 500109 500109 500109 500109 500
Ax-les-Thermes – La Tour-de-Carol33 94525 55018 250109 500109 50018 250109 50018 250109 500
Perpignan – Cerbère295 285427 050657 000401 500584 0001 047 5501 022 0001 113 2501 113 250
          
Trafic annuel moyen de marchandises sur les transpyrénéens
 194919521955195819631966196919721976
Bayonne – Hendaye190 895221 190335 800452 600784 7501 051 2001 069 4501 346 8501 233 700
Buzy – Canfranc48 910 18 250109 500109 500109 500226 30000
Ax-les-Thermes – La Tour-de-Carol33 94525 55018 250109 500109 50018 250109 50018 250109 500
Perpignan – Cerbère295 285427 050657 000401 500584 0001 047 5501 022 0001 113 2501 113 250
          
Pourcentage de répartition du trafic de marchandises sur les transpyrénéens
 194919521955195819631966196919721976
Bayonne – Hendaye33,5%32,8%32,6%42,2%49,4%47,2%44,1%54,3%50,2%
Buzy – Canfranc8,6% 1,8%10,2%6,9%4,9%9,3%0,0%0,0%
Ax-les-Thermes – La Tour-de-Carol6,0%3,8%1,8%10,2%6,9%0,8%4,5%0,7%4,5%
Perpignan – Cerbère51,9%63,4%63,8%37,4%36,8%47,0%42,1%44,9%45,3%

Ainsi, le trafic de marchandises sur la ligne Pau – Canfranc, et en particulier au tunnel ferroviaire du Somport est toujours resté très faible. La moyenne est d’environ 109 000t par an de 1958 à 1969 puis jusqu’à 226 000t en 1969. Ces valeurs sont très surestimées car les cartes de la SNCF ne donnent pas de valeurs précises et considèrent tout le trafic de la ligne dont le trafic très majoritaire de Buzy à Bedous. La revue interne de la SNCF, qui est certainement très bien renseignée, indique un trafic au tunnel ferroviaire du Somport de 12 000t en 1953 et 65 000t en 1965 auquel l’on peut rajouter 10 000 moutons de la transhumance en 1965 et 150 wagons de maïs par jour en février 1966 [10]. Un recalage permet de penser que les valeurs des tableaux sont donc vraisemblablement surestimées de 40 à 60%. Ce qui est également notable, c’est l’importance du trafic de marchandises sur les deux transpyrénéens des extrémités qui ne cesse d’augmenter dans les années 1950 et 1960 en progressant d’environ 6 à 7 fois, au point d’accaparer au moins plus de 85% de tout le trafic transfrontalier en 1969. Le trafic de marchandises sur le transpyrénéen de la Tour-de-Carol n’est guère plus brillant, du même niveau que celui de la ligne Pau – Canfranc.

Le trafic de marchandises dans la littérature

Ils furent nombreux, géographes, ingénieurs et passionnés du ferroviaire, a étudié la ligne Pau – Canfranc – Saragosse et beaucoup reconnaissent et déplorent la faiblesse du trafic de marchandises dès l’ouverture de la ligne.

Ainsi Marcel Garau (1871-1939), polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, officier de la Légion d’Honneur écrit une publication technique [11] en 1930 dans laquelle il décrit les caractéristiques des différents transpyrénéens et reconnaît que la ligne Pau – Canfranc – Saragosse ne remplit pas ses objectifs et explique ce désintérêt par la place prépondérante du trafic maritime depuis les ports espagnols et par le manque d’industries des deux côtés de la frontière. Au sujet du trafic de voyageurs et de marchandises par le tunnel du Somport, il écrit en page 324 : “Jusqu’ici, il faut reconnaître que le transpyrénéen du Somport n’a pas donné, après un an et demi d’exploitation, tous les résultats que certains en avaient escomptés. C’est que ce transpyrénéen Pau – Saragosse relie deux régions peu industrielles tant en France qu’en Espagne et des pays de montagne ne donnant guère lieu à des échanges de produits. Il y a lieu d’espérer néanmoins que le trafic se développera peu à peu.”

Puis, trois années plus tard, en 1933, il remet à jour son analyse dans une publication technique [12] en n’ayant d’ailleurs plus d’espoir que le trafic se développe. Il écrit ainsi en page 470 : “Jusqu’ici, il faut reconnaître que le transpyrénéen du Somport n’a pas donné, après plus de quatre ans d’exploitation, tous les résultats qu’on en avait escomptés. C’est que ce transpyrénéen Pau – Saragosse relie deux régions peu industrielles, tant en France qu’en Espagne et des pays de montagne, ne donnant guère lieu à des exportations de fruits, primeurs ou vins.”

En 1936, Romain Plandé (1898-1991), inspecteur général de l’Instruction publique et ancien résistant FFI, écrit une publication plus abordable [13] dans laquelle il réalise l’historique des liaisons entre la France et l’Espagne. Il reconnaît que la ligne Pau – Canfranc reste une ligne secondaire par ses pentes, courbes, tunnels et viaducs avec une vitesse très réduite et des chargements de marchandises limités. Il estime que ces choix stratégiques entraînèrent des conséquences funestes sur la ville d’Oloron-Sainte-Marie par ces mauvais choix du ferroviaire. Il écrit en page 229 : “Mais, réalisé en 1928, le transpyrénéen du Somport ne pouvait plus recueillir que les bribes d’un trafic ferroviaire, détourné par Bayonne-Irun depuis plus de soixante ans. Il apparut assez vite que les lois économiques qui avaient pu assurer aux sentiers de montagne, puis à la route du Somport, une indiscutable supériorité, ne convenaient pas au trafic par fer. Les voies ferrées contournant aux deux extrémités la chaîne, avaient créé les nouveaux courants d’échange.” Et toujours en page 229 : “La voie unique, les pentes, les courbes, font du transpyrénéen du Somport une ligne secondaire où circulent des trains à vitesse réduite et à chargement vite limité. Son influence est restée nulle sur le trafic à longue distance et peu importante sur les échanges locaux. De propos délibéré, on a refusé à la vallée d’Aspe un chemin de fer d’intérêt général, et depuis 1928, tout a été mis en œuvre pour l’empêcher d’atteindre un modeste tonnage. La vallée d’Aspe n’est plus une voie commerciale et la ville d’Oloron a subi les conséquences funestes de cette décadence.”

C’est ensuite Jean Sermet (1907-2003), professeur à l’Université de Toulouse le Mirail dans une publication traitant des différents aspects de l’industrie ferroviaire en Espagne [14] de souligner en en 1950 en page 238 : “A vrai dire, le très faible trafic enregistré sur les deux transpyrénéens de Canfranc et de Puigcerdá (auquel certaines manœuvres intéressées ne sont pas étrangères) n’incitait pas à ouvrir une nouvelle ligne déficitaire. Aussi, bien que tous les travaux soient terminés entre Saint-Girons et Oust et que seule y manque la pose des rails, il ne faut pas compter que l’on procède jamais à celle-ci.”

Sa collègue et amie Raymonde Caralp-Landon (1919 – 2009), géographe et spécialiste des transports à l’Université de Picardie décrit la situation des chemins de fer espagnols en 1954 à la sortie de la guerre civile [15]. Elle explique que le problème du transport ferroviaire en Espagne est lié à un manque d’équipement et à une situation très difficile des chemins de fer avec des voies demandant de gros travaux, la complexité du relief, des déclivités importantes, des voies uniques, peu d’électrification et des vitesses faibles. Elle souligne que 90% du transport de marchandises à l’international est fait par le transport maritime. Elle écrit en page 253 : “La nouvelle société, avec une technique perfectionnée, effectue des changements d’essieux à Hendaye et à Cerbère, qui deviennent les deux grandes gares de transit vers la France : La Tour de Carol et Canfranc n’ont vu passer en 1953 que 1 p. 100 du trafic des marchandises. C’est un exemple de détour pour éviter de trop mauvais profils, tant sur le réseau français que sur le réseau espagnol, bien que les lignes aboutissant à La Tour de Carol soient électrifiées, alors que les lignes réunies à Cerbère ne le sont pas.”

Lors du deuxième Congrès international d’Etudes pyrénéennes qui s’est déroulé à Luchon et Pau du 21 au 25 septembre 1954, Jean Sermet produit une longue publication sur les chemins de fer transpyrénéens [16]. Il refait l’historique de la construction des lignes entre l’Espagne et la France par Cerbère et Irun et l’historique des lignes pénétrantes dans les Pyrénées. Il considère que dès l’origine, les transpyrénéen centraux étaient considérés comme ayant un “rôle économique plus modeste” et que le tracé a été déterminé par la politique uniquement, et même la petite politique. Il fut l’un des premiers à évoquer la construction d’un nouveau transpyrénéen central incluant un tunnel de base. Concernant la ligne Pau – Canfranc – Saragosse, il écrit en page 134 : “Mme Caralp ayant relevé qu’en 1953 les deux gares de Canfranc et Latour-de-Carol n’ont vu passer que 1% du trafic marchandises franco-espagnol, on les comprend un peu.” Puis en page 180 : “Quand au surplus, les deux lignes centrales existantes, de Puigcerdá et même de Canfranc sont manifestement sans vie, du moins autre que celle imposée par les traités ou les relations locales internes.” Et enfin en page 182 : “Mais en France, elle débouche sur une vallée accidentée et longue: elle n’atteint même pas Pau directement, puisqu’elle fait à partir d’Oloron un grand détour par Buzy; et à Pau elle est mal rattachée aux grandes lignes françaises.”

Philippe Delas, professeur agrégé, réalise un très bon descriptif [17] en 1973 de l’historique et des caractéristiques de la ligne Pau – Canfranc, de la question de l’utilité et de la rentabilité de la ligne, de l’hostilité initiale de la Compagnie du Midi.  Il souligne en page 244 : “L’exploit technique ayant été salué, il fallut pourtant déchanter. Le trafic ne fut jamais à la hauteur des espérances et en 1969 le Somport représentait 4,8 % du trafic ferroviaire et 3,7 % de l’ensemble du trafic par voie terrestre entre les deux pays.” Il énumère les arguments de trafic potentiel de marchandises mis en avant en page 258 : “Pour le trafic local, l’énumération des différentes richesses naturelles de la vallée d’Aspe était vraiment impressionnante : forêts de hêtres, carrières de gypse, mines de houille et d’anthracite, carrières de marbre, minerai de fer dans le vallon d’Accous. De quoi établir entre autres choses une véritable sidérurgie. Naturellement, toutes ces richesses étaient recensées sur simple ouï-dire et sans vérifications.” Il revient sur les évaluations de trafic précédemment réalisées en page 259 : “Les évaluations du trafic international étaient plus aléatoires encore. On comptait sur l’absorption de la Compagnie d’Almansa-Valence-Tarragone (A. V. T.) par la Compagnie du Norte pour que les agrumes du Levant, exportés précédemment par Cerbère, soient détournés vers le Somport.” Enfin, il souligne le réalisme de la Compagnie du Midi, pas du tout enthousiasmé par ce projet en page 260 : “Cet optimisme délirant n’était pas du tout partagé par la Compagnie du Midi qui, plus réaliste parce que directement intéressée, prévoyait au contraire un important déficit d’exploitation (5 000 francs par kilomètre sur le secteur Oloron-Bedous).”

Ch. A. Arnaud, Ingénieur du CNRS et économiste à l’Université de Pau écrit en 1981 une publication sur la fermeture de ligne [18]. Il s’interroge sur l’utilité de la ligne Pau – Canfranc – Saragosse et souligne qu’il n’est possible de tracter que 480t de marchandises au maximum. Il mentionne la contribution importante des employés de la SNCF habitant dans la vallée, et en particulier à Bedous. Il fournit le trafic de marchandises dans les années 1960 en page 390 : “De 1962 à 1969, dans le sens France-Espagne, on avait transporté en moyenne 62.000 t. par an, et 1.700 t. dans le sens Espagne-France, soit un trafic très déséquilibré, ce qui ne favorise pas sa rentabilité.”

Dans son livre sur les trains oubliés [19], José Banaudo, professeur et vice-président du Groupe d’étude pour les chemins de fer de Provence revient sur l’historique de la ligne et décrit ses caractéristiques techniques et le matériel de traction. Concernant le trafic de marchandises, il écrit en page 109 : “Cette relation reste malgré tout relativement peu fréquentée, aussi bien à cause des événements politiques de l’Espagne qui accompagnent à cette époque la proclamation de la république et la guerre civile, que par l’absence de correspondances pratiques à Pau vers Bordeaux et la capitale. Le trafic marchandise est lui aussi assez réduit, en raison des fortes rampes limitant la charge des trains. En 1929 par exemple, on enregistre 30.000 t à l’exportation, représentées par des céréales, des engrais et du coke, contre seulement 2.000 t à l’importation.” Puis en page 110, : “Par la suite, les trois omnibus seront dissociés du trafic marchandises, acheminé par un train indépendant jusqu’à Canfranc pour assurer des exportations de maïs, d’orge et d’engrais vers l’Espagne, les importations restant toujours insignifiantes (1900t en 1969).” Et il explique les raisons du refus de la reconstruction du pont de l’Estanguet en page 110 : “Au fil des mois, alors que l’ouvrage détruit, de faible portée, pourrait être remplacé sans grands problèmes techniques, il apparaît que cette situation risque de s’éterniser, la S.N.C.F. mettant pour condition au rétablissement de la voie ferrée la prise en charge de la majeure partie du déficit par les pouvoirs publics espagnols, ou le développement par le soin de ces derniers du trafic marchandises dans le sens Espagne – France, le seuil de rentabilité de 130.000 t par an étant jusqu’alors loin d’être atteint.”

L’historien et certainement l’un des meilleurs connaisseurs de la Compagnie du Midi, Christophe Bouneau, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bordeaux Michel-de-Montaigne décrit en 1987 l’histoire de la Compagnie du Midi et sa relation avec la ligne Pau – Canfranc – Saragosse [20] considérée comme un cadeau empoisonné. Il explique que la Compagnie du Midi est hostile à la construction des transpyrénéens mais que la décision de construction sera prise par son directeur Jean-Raoul Paul qui y voit l’intérêt de promouvoir l’électrification des lignes du Midi. Le trafic voyageurs et marchandises du transpyrénéen occidental restera insignifiant, le trafic se concentrant avant tout sur les liaisons littorales, la voie maritime et les liaisons routières. Il explique en page 256 : “La situation économique du transpyrénéen du Somport s’avère encore plus intenable. Il fait figure de ligne secondaire, où circule des trains à vitesse réduite et à chargement limité. Son influence est restée insignifiante sur le trafic à longue distance : il relie des régions trop peu industrielles et des pays de montagne ne donnant guère lieu à des exportations de fruits, primeurs ou vins. C’est toujours via Hendaye que s’opère la liaison Paris-Madrid. Le transpyrénéen ne raccourcit en effet que de 27km le trajet, au prix d’une perte de temps considérable, malgré la construction du tronçon Ayerbe-Zuera, qui évite le détour de Huesca. Il n’abrège vraiment les distances que de Bordeaux et Toulouse à Saragosse, mais le Haut-Aragon n’offre guère d’intérêt économique. En outre, l’absence de correspondances pratiques à Pau vers Bordeaux et Paris se fait cruellement sentir.” Et en page 256 : “Au terme de cette analyse, nous voyons que le dilemme financier et commercial reste sans issue pour la Compagnie du Midi, dans le cas des Transpyrénéens. La majeure partie du trafic reste fidèle aux liaisons littorales. La disproportion est flagrante : en 1934, le mouvement des marchandises est de 308 000 tonnes à Cerbère et 248 000 tonnes à Hendaye contre seulement 10 500 à Canfranc et 3 100 à Latour de Carol, dont les installations marchandes restent pratiquement inutilisées, avec la non-application du décret du 17 juillet 1928. La rivalité toujours sévère avec la voie maritime, la concurrence toute nouvelle des liaisons routières, et le protectionnisme étroit des tarifs douaniers ajoutent encore à cette léthargie commerciale des Transpyrénéens.”

Louis Laborde-Balen (1923-2017), journaliste, dans son livre sur le Somport [21] explique en page 244, qu’entre 1929 et 1936 : “D’emblée, les tarifs de fret sont plus élevés que pour les voies côtières, ce qui n’incite pas les exportateurs à choisir la montagne. Aucun transitaire ne pourra s’installer durablement à Canfranc.” Puis en page 247, il y eut le boom des oranges qui restera temporaire : “Dans le domaine des marchandises d’abord : une importation assez importante d’agrumes espagnols se développe à partir de 1954. Il ne dura pas.”

Enfin, Pascal Desmichel, géographe à l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand refait l’historique de la ligne en 2008 [22] avec les fermetures de 1936 à 1948 dues à la situation politique interne à l’Espagne et revient sur la gare et sa possible transformation en hôtel international. Il écrit au paragraphe 11 : “Mises bout à bout, les sections qui constituent l’hypothétique artère Limoges – Saragosse via la vallée d’Aspe représentent en définitive une ligne aux caractéristiques médiocres dont la dimension internationale est déjà contestable, surtout en comparaison du tracé via Bordeaux et Irun. Finalement, la gare de Canfranc n’est-elle pas, dès sa naissance, un modeste point de passage sur une ligne secondaire ?” et au paragraphe 14 : “Il faut une journée entière pour effectuer les 311 km séparant Pau de Saragosse. Le trafic marchandise est assez réduit, notamment en raison de la pauvreté économique des territoires traversés.”

En conclusion

Ainsi, avec un trafic de marchandises peu significatif et déséquilibré par des exportations vers l’Espagne bien plus importantes que les importations vers la France, le trafic sur la ligne Pau – Canfranc – Saragosse ne décollera jamais et restera toujours très insignifiant. Malgré des valeurs difficiles à appréhender, le pic de trafic s’est situé de 1962 à 1969 avec des tonnages de l’ordre de 65 000t. Durant ce temps, les lignes d’Hendaye et de Portbou accaparaient à elles seules plus de 85% du trafic de marchandises entre la France et l’Espagne avec une croissance importante et constante depuis 1949.

Quelques références

[1] : Trafic marchandises de la SNCF – Débit journalier par section de ligne en tonnage utile – année 1949 – SNCF Service Technique de la Direction Générale Statistique

[2] : Trafic marchandises – Débit journalier par section de ligne en milliers de tonnes utiles – année 1952 – SNCF Direction Générale Etudes Générales Statistique

[3] : Trafic marchandises – Débit journalier par section de ligne en milliers de tonnes transportées par sens de circulation – année 1955 – SNCF Direction Générale Etudes Générales Statistique

[4] : Trafic marchandises – Débit journalier par section de ligne en milliers de tonnes transportées – année 1958 – SNCF Direction Générale Etudes Générales Statistique

[5] : Trafic marchandises – Débit journalier par section de ligne en milliers de tonnes transportées – année 1963 – SNCF Direction Générale Etudes Générales Statistique

[6] : Trafic marchandises – Débit journalier par section de ligne en milliers de tonnes transportées –1966 – SNCF Direction Générale Etudes Générales Statistique

[7] : Trafic marchandises – Débit journalier par section de ligne en milliers de tonnes transportées –1969 – SNCF Direction Générale Etudes Générales Statistique

[8] : Trafic marchandises – Débit journalier moyen par section de ligne en milliers de tonnes transportées – 1972 – SNCF Direction Générale Etudes Générales Statistique

[9] : Trafic marchandises – Débit journalier moyen par section de ligne en milliers de tonnes transportées – 1976 – SNCF Direction Générale Etudes Générales Statistique

[10] : En Vallée d’Aspe La ligne du Somport – Notre Trafic – SNCF – n°248 – août septembre 1966

[11] : La question des transpyrénéens et celle de la pénétration de la voie européenne en Espagne – Marcel Garau – Revue générale des chemins de fer – n°4 – avril 1930 – pages 301 à 324

[12] : Les Transpyrénéens – La pénétration de la voie d’écartement européen en Espagne – Marcel Garau – Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest – Tome 4, fascicule 4 – 1933 – pages 449 à 471

[13] : La circulation dans les vallées pyrénéennes de l’Adour et des Gaves – Romain Plandé – Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest – Tome 7, fascicule 3 – 1936 – pages 213 à 237

[14] : Du nouveau sur les chemins de fer espagnols – Jean Sermet – Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest – Tome 22, fascicule 4 – 1950 – pages 233 à 259

[15] : Les transports espagnols – Raymonde Caralp-Landon – Annales de Géographie – LXIIIème année, n°338 – juillet août 1954 – pages 241 à 254

[16] : Communications pyrénéennes et transpyrénéennes, Les chemins de fer transpyrénéens, Actes du deuxième Congrès international d’Etudes pyrénéennes (Luchon-Pau, 21-25 septembre 1954) – Jean Sermet – Imprimerie Privat, Toulouse Tome 7, section VI La frontière Franco-Espagnole – 1962 – pages 127 à 142

[17] : Le passage international du Somport : le grand rêve des transpyrénéens – Philippe Delas – Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest – Tome 45, fascicule 3 – 1974 – pages 234 à 270

[18] : La voie ferrée Pau-Canfranc : déraison d’une fermeture – Ch. A. Arnaud – Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, Tome 52, fascicule 4 – 1981 – pages 385 à 402

[19] : Trains oubliés Le PO-Le Midi – José Banaudo – Editions du Cabri,    Tome 3 – 1982 – pages 108 à 111

[20] : Les Transpyrénéens ferroviaires : un dilemme pour la Compagnie du Midi – Christophe Bouneau- Actes du XXXVIIIème Congrès tenu à Pau les 5 et 6 octobre 1985, Fédération historique du Sud-Ouest, Les relations entre le Sud-Ouest et la Péninsule Ibérique – Société des Sciences Lettres et Arts de Pau et du Béarn, Le Sud-Ouest et la Péninsule Ibérique – 1987 – pages 243 à 259

[21] : Somport, des Romains au tunnel – Louis Laborde-Balen – J&D Editions – 1996 – pages 227 à 258

[22] : La gare monumentale de Canfranc à l’épreuve des temps. Grandeur et décadence d’un patrimoine ferroviaire de la montagne aragonaise (Espagne) – Pascal Desmichel – Cybergeo : European Journal of Geography, Aménagement, Urbanisme – 2008 – Document 420