Quelle fréquentation de voyageurs envisageable
sur la ligne Pau – Canfranc – Saragosse ?
“L’avenir, fantôme aux mains vides
Qui promet tout et qui n’a rien !”
Victor Hugo (1802-1885) – Sunt lacrymæ rerum VII – Les voix intérieures – 1837
Pour éviter de tout promettre à l’avenir et finalement de n’avoir rien, c’est-à-dire aucun voyageur, il est avant tout nécessaire de bien étudier la chalandise qui serait susceptible d’utiliser la ligne Pau – Canfranc – Saragosse. La fréquentation actuelle est déjà bien maigre, à la limite de l’indécence et de l’indignité. Selon les partisans de la réouverture, l’explication est toute simple : s’il n’y a personne dans les trains, c’est parce que les trains ne vont pas jusqu’à Canfranc et Saragosse ; rouvrons la ligne et les voyageurs iront dans les trains. Aujourd’hui, vu les investissements mis en jeu, on ne crée plus de ligne ferroviaire en se disant que tant mieux s’il y a des voyageurs et tant pis sinon. Il n’y aura réouverture de la ligne que si un trafic de voyageurs conséquent est envisageable. Quelle peut donc être la chalandise sur une telle ligne ?
Résumé de l’article
Cet article recense les différentes catégories de voyageurs envisageables à l’avenir en cas de réouverture complète de la ligne : abonnés du quotidien pour le travail, frontaliers, abonnés du quotidien scolaire, étudiants, voyageurs d’affaires, occasionnels de Pau à Saragosse, touristes pour le fort du Portalet, touristes pour le futur hôtel de Canfranc, skieurs pour les stations de Candanchu, d’Astún et du Somport, touristes pour Saragosse, pèlerins pour Lourdes. L’étude de chaque catégorie de voyageurs montre que le trafic restera toujours faible et ne décollera jamais, tout comme ce fut le cas pour le car Toulouse – Saragosse – Madrid opéré par Flixbus en 2018 et abandonné moins de deux années plus tard faute de voyageurs et tout comme ce fut le cas pour la liaison TGV de Toulouse à Barcelone opérée par la SNCF et la RENFE en 2014 et abandonnée en 2019 faute de voyageurs.
Version initiale du 14 octobre 2021, dernière mise à jour au 11 mars 2022
Les abonnés du quotidien pour le travail
Les abonnés du quotidien pour le travail (salariés, travailleurs indépendants…) représentent une fréquentation intéressante car elle est constante tout au long de l’année, excepté durant certaines périodes de vacances. C’est une clientèle captive, cependant exigeante car elle demande de la fiabilité pour éviter d’arriver en retard au travail. Actuellement, le total des abonnés représente environ 200 voyageurs dont une grande majorité d’abonnés pour le travail. La très grande partie de ces abonnés se déplacent entre les gares d’Oloron-Sainte-Marie, Bidos, Ogeu-les-Bains, Buzy-en-Béarn et Pau.
Avec le prolongement de la ligne ferroviaire jusqu’aux Forges d’Abel, il ne faut pas s’attendre à une augmentation des abonnés quotidiens pour le travail. Selon le recensement de 2018 [1], les communes traversées de Bidos à Bedous représentent une population de 6 012 habitants, les communes traversées de Bedous à Urdos représentent une population de 1 209 habitants, soit 5 fois moins. Avec une si faible population et sachant que les gares sont éloignées des centres des villages, les habitants en âge de travailler sont motorisés, il est donc prévisible qu’il n’y aura aucun abonné supplémentaire pour le travail.
Eventuellement, le passage à une signalisation de type block automatique ou ERTMS avec la création de voies d’évitement permettra d’augmenter un peu le nombre de circulations, et donc éventuellement de capter plus d’abonnés mais uniquement entre Pau et Oloron-Sainte-Marie. Les gares mal placées de Croix-du-Prince et de Gan, pourtant proches de Pau, ne permettront jamais d’apporter un nombre d’abonnés conséquent, sauf éventuellement si ces gares rentrent dans le réseau d’abonnement Idélis de l’agglomération de Pau.
Les frontaliers
Il suffit d’aller un matin en gares de Thionville, Sarreguemines, Lauterbourg, Mulhouse, Annemasse ou Bellegarde pour constater la quantité impressionnante de frontaliers prenant le train pour se rendre à Luxembourg, Sarrebruck, Karlsruhe, Bâle ou Genève attirés par le plein emploi et des salaires bien plus élevés qu’en France.
Formellement, les niveaux de vie et les différences de salaires entre la France et l’Espagne ne justifient pas d’avoir le statut de frontalier. De plus, l’industrie et les services sont distantes de la frontière, Pau et Oloron-Sainte-Marie d’un côté, Canfranc, Jaca, Huesca et Saragosse de l’autre côté. Les villes sont bien trop éloignées les unes des autres pour voir des frontaliers faire plusieurs heures de train matin et soir pour rejoindre leur travail. Il y aura peut-être quelques français de la vallée d’Aspe travaillant au futur hôtel Barceló de Canfranc, ou quelques espagnols habitants entre Jaca et Canfranc qui iront travailler à Oloron-Sainte-Marie.
Il n’y a pas d’embouteillages le matin et le soir au niveau du tunnel routier du Somport, rien à voir avec les interminables embouteillages aux postes-frontières de Luxembourg, Bâle ou Genève. Il est donc tout à fait envisageable que s’il existe quelques frontaliers, ceux-ci utiliseront de manière privilégier leurs véhicules qui s’avèreront bien plus rapide et flexible que le train.
Les abonnés du quotidien scolaires
Tout comme les abonnés du quotidien pour le travail, les abonnés du quotidien scolaires (collégiens et lycéens) représentent également une fréquentation intéressante car constante tout au long de l’année, excepté durant les périodes de vacances. C’est aussi une clientèle exigeante car il n’est pas envisageable d’arriver constamment en retard en classe. Actuellement, les abonnés scolaires sont très peu nombreux et représentent une petite partie des 200 abonnés. Selon les partisans de la réouverture de la ligne, la faible quantité de scolaires s’expliquerait par les horaires des TER à Oloron-Sainte-Marie incompatibles avec les horaires des collèges et lycées. L’explication est un peu facile, d’autant plus que les horaires ont été adaptés à partir du 4 février 2019. La raison est peut-être à chercher du côté de l’éloignement de la gare des collèges et lycées d’Oloron-Sainte-Marie. Excepté le lycée professionnel du 4 septembre 1870, tous les collèges et lycées se situent de 1 à 2km de la gare. Pour les scolaires, il est plus tentant de prendre un car scolaire qui les emmène aux portes des collèges et lycées plutôt que de se rendre à la gare d’Oloron-Sainte-Marie pour terminer le trajet à pied ou en bus urbain.
Avec le prolongement de la ligne ferroviaire jusqu’aux Forges d’Abel, il y aurait peut-être quelques scolaires supplémentaires. Selon le recensement de 2018 [1], les habitants âgés de 11 à 17 ans des communes traversées de Bedous à Urdos représentent une population de 105 personnes. Il ne faut donc pas s’attendre à un afflux d’abonnés scolaires.
Les étudiants
Les étudiants mais également internes des collèges ou lycée représentent une part importante de la fréquentation des trains les vendredis soir, dimanches soir et lundis matin, au point que les trains affichent complets avec des voyageurs restant debout. Ces étudiants se dirigent généralement vers Pau ou Saragosse, mais également Bayonne, Bordeaux, Toulouse, Barcelone, Bilbao, voire Paris ou Madrid ou d’autres villes de France ou d’Espagne.
La fréquentation des étudiants entre Pau et Saragosse sera plus importante, d’autant que les universités de ces deux villes ont noué des partenariats depuis longtemps. Cependant, dès qu’un étudiant espagnol souhaitera se rendre dans une autre ville universitaire que Pau, ou dès qu’un étudiant français voudra se rendre dans une autre ville que Saragosse, alors les passages par Hendaye ou le tunnel du Perthus seront beaucoup plus pratiques. L’on peut compter sur les universités de Pau et de Saragosse pour fortement accentuer leur partenariat une fois la ligne rouverte. Certes, il y aura plus d’étudiants, mais il ne faut cependant pas s’attendre à un afflux d’étudiants faisant des aller-retours constants entre Pau et Saragosse.
Les voyageurs d’affaires
Les voyageurs qui se déplacent pour raison professionnelle sont une clientèle intéressante car prête à payer le prix fort pour avoir une flexibilité totale de ses départs et arrivées sachant que, in fine, ce sont les entreprises qui payent les frais de déplacements. Le confort lui importe peu, cependant, elle a une exigence très forte : limiter les durées de déplacement et les nuits d’hôtel quitte à partir de chez soi très tôt le matin et à arriver chez soi très tard le soir. La durée du trajet est donc primordiale.
Quels que soient les lieux de départ et d’arrivée, la durée du trajet sur la ligne Pau – Canfranc – Saragosse sera toujours rédhibitoire par rapport à la durée d’un trajet en voiture. Il faut être réaliste, il n’y aura strictement aucun voyageur se déplaçant pour raison professionnelle qui utilisera la ligne de bout en bout. Ces voyageurs utiliseront, soit des voitures de fonction, soit des voitures de location. Tout comme aujourd’hui, il y a aura toujours quelques voyageurs pour raisons professionnelles qui feront les trajets Pau – Oloron-Sainte-Marie et Saragosse – Huesca dans la journée, mais rien de plus.
Les occasionnels de Pau à Saragosse
Les voyageurs qui se déplaceraient de façon occasionnelle entre Pau et Saragosse sont les plus difficiles à appréhender. Et pourtant, c’est cette clientèle qui reste majoritaire sur ce type de ligne ferroviaire qui serait peu utilisée par des abonnés d’Oloron-Sainte-Marie à Huesca. Les occasionnels voyagent pour de multiples raisons toutes différentes. Ce peut être pour des raisons touristiques et de loisirs, des formalités administratives, des besoins liés au travail ou à la santé, ou tous autres raisons diverses et variées.
De façon anecdotique, il existe le marché de Bedous des jeudis matins qui serait à lui seul une bonne raison de rouvrir la ligne selon les partisans de la réouverture. Mieux vaut ne pas avoir une grande famille, car rapporter fruits, légumes, boucherie, pains, fromages, vêtements ou livres dans ses paniers par train, n’est pas toujours des plus faciles. Quoiqu’il en soit, justifier une réouverture par l’accès à ce marché des habitants de la haute Vallée d’Aspe et des Espagnols fait vraiment sourire, mais tout voyageur supplémentaire est toujours bon à prendre !
D’Oloron-Sainte-Marie à Huesca, sur 193km, il y a peu de villes importantes donc peu d’habitants, peu d’activités, peu de services publics, peu d’agriculture, peu d’industries, peu de services, donc potentiellement peu de besoins de se déplacer d’autant plus que les haltes et les villages sont souvent éloignés des centres des villages. Reste le trajet complet de Pau à Saragosse, mais excepté des déplacements pour des raisons touristiques et de loisirs, il n’y a que bien peu de raisons de se déplacer entre les deux villes. Il y aura donc toujours quelques Français pour passer un week-end à Saragosse ou quelques Espagnols pour passer un week-end à Pau, mais au-delà de ces voyageurs touristiques, la fréquentation d’Oloron-Sainte-Marie à Huesca restera toujours bien faible.
Il est difficile également de croire que cette ligne de Pau à Saragosse sera un itinéraire alternatif entre l’Espagne et la France pour des voyageurs occasionnels. Aller de Valence, Barcelone, Valladolid, Séville, Madrid vers Bordeaux, Toulouse, Lyon ou Paris sera toujours plus facile et rapide par Hendaye ou le tunnel du Perthus et sans rupture de charge une fois que le Y Basque sera opérationnel. Excepté 100km autour de Saragosse ou 100km autour de Pau, tout trajet en train sera plus facile et rapide par Hendaye, Portbou ou le tunnel du Perthus. Ainsi, le caractère international se limite à la France et l’Espagne, il n’y aura jamais de trafic significatif des voyageurs au-delà de Pau et Saragosse.
Les touristes pour le fort du Portalet
C’est une volonté majeure du Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine et des collectivités locales : aménager le fort du Portalet et le chemin de la mâture pour y permettre de faire l’un des sites touristiques majeurs des Pyrénées et permettre l’accès depuis la gare d’Urdos. C’est un axe fort du “levier tourisme” promu par le Livre Blanc dans le cadre du train touristique qui serait dénommé “Train des Pyrénées” [2]. Le projet est louable mais très ambitieux. Les travaux d’aménagement sont en cours et la première passerelle himalayenne de 35m reliant les deux sites est installée et opérationnelle. D’autres passerelles et aménagement sont prévus à l’avenir pour sécuriser et faciliter l’accès au site car il est prévu pas moins de 60 000 visiteurs par an [3] [4].
Le fort du Portalet avec ses 250 marches et le chemin de la mâture avec son à-pic sur le vide ont été réalisés pour des militaires et des travailleurs de force. Ames sensibles, personnes à mobilité réduite, familles avec jeunes enfants ou poussettes s’abstenir car ce type de visites s’adresse plutôt à des jeunes ou adultes plutôt sportifs. Il existe d’autres sites dans les Pyrénées bien plus accessibles et tout autant majestueux tels que le Pic du Midi de Bigorre, le Cirque de Gavarnie ou le Col d’Aspin et d’autres trains touristiques bien plus intéressants qu’un éventuel “Train des Pyrénées” : train d’Artouste, train de la Rhune, train jaune de Cerdagne.
Il y aura certainement des randonneurs ou pèlerins vers Saint-Jacques-de-Compostelle disposés à utiliser le train jusqu’à la gare d’Urdos et réaliser la visite à pied. Il ne faut cependant pas s’attendre à des trains bondés en été de touristes partant de Pau ou de Saragosse pour accéder au site. L’estimation de la fréquentation de ce “Train des Pyrénées” est difficile à faire. Au moins, il faut espérer que la visite du fort du Portalet et du chemin de la mâture soit un succès et que l’objectif de 60 000 visiteurs soit atteint, histoire de ne pas avoir fait tous ces investissements pour rien. La réouverture complète du site devrait être effective en 2023, la fréquentation durant les premières années d’exploitation sera rapidement connue et il sera alors envisageable d’estimer la fréquentation d’un éventuel “Train des Pyrénées”.
Les touristes pour le futur hôtel de Canfranc
L’aménagement de la gare historique de Canfranc en hôtel 5 étoiles est en cours. C’est heureux que ce bâtiment riche d’histoire soit définitivement sauvé de la ruine. Les investissements financés entièrement par le gouvernement d’Aragon sont conséquents, puisque ce ne sont pas moins d’environ 10M€ qui sont investis dans la transformation de cette gare historique en hôtel de 104 chambres et qui font suite aux 11M€ dépensés depuis 2005 dans la conservation du lieu, dans un projet plus global estimé de 40 à 50M€ [5] [6]. A noter que l’Europe n’apporte strictement aucune subvention pour la restauration de ce bâtiment. Les quelques subventions apportées par l’Europe concernent uniquement la réalisation du nouveau bâtiment voyageurs construit derrière la gare historique.
A partir de l’hiver 2022, le groupe Barceló exploitera cet hôtel considéré comme un hôtel 5 étoiles de luxe. Il est nécessaire d’être attentif au qualificatif “luxe” pour cet hôtel. Il ne s’agit nullement d’un hôtel de prestige et il ne s’agit heureusement pas de faire de Canfranc une station de prestige à l’image de Megève, Saint-Moritz, Zermatt ou Gstaad car l’échec aurait été cinglant. Le qualificatif de 5 étoiles se réfère à un hôtel de bon standing tel que les hôtels Montecastillo Golf à Jerez de la Frontera ou Torre de Madrid à Madrid gérés par Barceló.
Il s’agira alors au groupe Barceló de remplir au maximum les 104 chambres de cet hôtel en toutes saisons, et cela ne risque pas d’être une mince affaire car l’on ne passe pas une semaine de vacances à Canfranc excepté si l’on est passionné de randonnée ou de cyclisme. Il ne faudra pas trop compter sur une éventuelle réouverture de la ligne Pau – Canfranc – Saragosse pour remplir l’hôtel. Il y aurait certainement beaucoup de ferrovipathes qui seraient susceptibles de faire l’excursion “train + hôtel”, mais à part eux, bien peu de voyageurs viendront en train d’autant plus qu’à part la randonnée ou le cyclisme, il n’y strictement rien à faire à Canfranc si l’on ne dispose pas d’une voiture pour se déplacer aux alentours.
Les skieurs pour les stations de Candanchu, d’Astún et du Somport
C’est une autre volonté majeure du Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine d’utiliser la ligne Pau – Canfranc – Saragosse pour alimenter en skieurs les stations de ski espagnoles de Candanchu et d’Astún et la station de ski de fond française du Somport. Cependant, l’absence de téléphérique à partir de la gare de Canfranc et la nécessité d’utiliser des cars pour monter aux stations ne faciliteront pas l’utilisation du train par des skieurs. Pour des skieurs venant de Pau, Oloron-Sainte-Marie, Jaca, Huesca ou Saragosse, il sera nécessaire de monter dans le train avec les skis, chaussures et bagages, ce qui n’est pas toujours très facile. Pour les skieurs venant de plus loin, il sera nécessaire d’arriver en train à Pau ou Saragosse, puis de changer de quai avec tout le matériel pour rejoindre le train qui les emmènera à Canfranc. Arrivé à Canfranc, il faudra transporter son matériel dans le car qui montera en station. Il n’est pas acquis que des skieurs, population généralement plutôt aisée, choisisse le train avec tous ses inconvénients à la voiture avec toutes ses facilités où il suffit de mettre le matériel dans la voiture à son domicile pour le ressortir en station.
Le couple train et station de ski fonctionnera uniquement si un téléphérique permet de rejoindre directement Candanchu, Astún ou le Somport depuis la gare de Canfranc. C’est ainsi que revient l‘antique idée de relier les stations de Candanchu, Astún, le Somport et Formigal par des téléphériques pour faire ce qui serait alors l’un des plus grands domaines skiables des Pyrénées en concurrence directe avec Baqueira-Beret et Grandvalira. Le gouvernement d’Aragón a la volonté politique de faire évoluer la situation en prévoyant une liaison par téléphérique entre Candanchu et Astún pour 9,3M€ puis une autre liaison par téléphérique d’Astún à Formigal pour 40M€ [7]. Il est urgent de réactiver ce projet car ces stations ont été mises en difficultés financières particulièrement celle de Candanchu par leur fermeture administrative durant l’hiver 2020-2021 en raison de la crise sanitaire. Cependant, dans le projet du gouvernement d’Aragón, il n’est pas prévu de liaison par téléphérique de la gare de Canfranc à Candanchu.
C’est pourtant à cette dernière condition d’un téléphérique depuis la gare de Canfranc puis au regroupement des stations de ski qu’une offre conjointe de transport par train peut être intéressante. Sans cela, il est fort à parier que le train n’intéressera que bien peu de skieurs.
Les touristes pour Saragosse
Saragosse est une ville intéressante avec un certain charme. Le centre-ville ancien est à visiter avec la Basilique du Pilar, la Cathédrale de la Seo, le Palais de l’Aljaferia et quelques musées de qualité. Cependant, il faut être réaliste, Saragosse n’est pas Madrid, Tolède, Barcelone, Saint Jacques de Compostelle, Salamanque, Valence, Séville, Cordoue ou Grenade. On y passe une ou deux journées, et c’est largement suffisant pour découvrir la ville et son patrimoine. Sachant que le trajet en train depuis Pau, Bordeaux ou Toulouse durera une bonne demi-journée avec des correspondances certainement peu pratiques à Pau, il est impossible pour des touristes de faire la visite dans la journée et il est difficilement envisageable de passer deux demi-journées de voyage afin de passer seulement une journée à réaliser la visite.
De plus, la volonté de modifier en écartement UIC la section de Canfranc à Huesca aura pour conséquence la suppression définitive de la desserte des trains à la gare de Saragosse – Goya qui permet de se rendre directement au centre-ville et d’assurer l’intermodalité avec le tramway L1 à la station Fernando El Católico. La descente des voyageurs se fera en gare de Saragosse – Delicias qui est excentrée et éloignée du centre-ville et nécessitera des touristes qu’ils se déplacent en bus ou en taxi. Ainsi, la meilleure façon de se rendre à Saragosse pour une visite d’une ou deux journées consiste en fait à utiliser une voiture, d’autant plus que la circulation automobile est plutôt facile et pratique avec de larges avenues et de nombreux parcs de stationnement.
Les pèlerins pour Lourdes
Voici un trafic très intéressant de voyageurs puisque le sanctuaire de Lourdes est placé idéalement entre Pau et Tarbes, donc théoriquement très facilement accessible depuis l’Espagne par la ligne Pau – Canfranc – Saragosse et sans rebroussement à Pau. L’intuition des frères Pereire fut donc la bonne en faisant passer la ligne ferroviaire de Pau à Tarbes par Lourdes, ce qui n’était initialement pas prévu dans les premières études. C’est ainsi que depuis son ouverture en 1867, plusieurs centaines de trains amènent chaque année des pèlerins de toute l’Europe, principalement de France, d’Italie et d’Allemagne. Il est difficile de juger de l’avenir des pèlerinages à Lourdes dont la fréquentation est plutôt en diminution, cependant il existe un vrai potentiel susceptible d’être développé. Malheureusement, la situation risque de ne pas être aussi simple.
En effet, d’ici 2040, la ligne n’est pas prévue d’être électrifiée. Les pèlerins arriveraient de toute l’Espagne et du Portugal soit par rames électrifiées de type AVE ou TGV en écartement UIC, soit par rames électrifiées ou thermiques en écartement ibérique. Il sera alors nécessaire de les faire changer de trains à Saragosse ou Huesca pour utiliser des automotrices thermiques en écartement UIC. Cette rupture de charge est absolument inenvisageable pour des pèlerins transportant de lourds bagages et dont certains sont malades et ne peuvent se déplacer qu’avec difficulté.
Après 2040, la ligne devrait être électrifiée. Il faudra alors faire venir les pèlerins de toute l’Espagne et du Portugal par des rails à écartement UIC, donc par les lignes nouvelles. Ce seront donc des rames de type AVE ou TGV qui les transporteront. Il est loin d’être évident que ce type de rames puissent être autorisées à circuler sur la ligne Pau – Canfranc – Saragosse. En effet, le caractère indéformable de ces rames, leurs circulations en unités multiples, leur aptitude à redémarrer en rampe risquent de ne pas être compatibles avec les déclivités, les rayons de courbure et les longueurs des voies d’évitement de cette ligne.
Une autre solution consiste à utiliser des rames tractées, similaires aux trains de pèlerins venant actuellement d’Italie, d’Allemagne ou de Pologne. Ainsi, dès 2025, il serait possible de faire venir les pèlerins de toute l’Espagne et du Portugal par des rails à écartement UIC, donc par les lignes nouvelles. Il suffirait alors juste de changer de locomotives à Saragosse ou Huesca, ou d’utiliser des locomotives bi-modes. Cependant, ce schéma est confronté à deux problèmes majeurs. Tout d’abord, Il n’est pas acquis que le gestionnaire d’infrastructure ADIF accepte d’utiliser des rames tractées sur les lignes nouvelles en Espagne et au Portugal car ces lignes nouvelles ne sont pas prévues pour ce matériel et les différences de vitesse poseraient des problèmes d’attribution des sillons et de robustesse. Ensuite, les rames tractées ne sont plus fabriquées aujourd’hui et de plus en plus réformées car remplacées par des automotrices. Il serait donc nécessaire de trouver des voitures d’occasion, type Corail, donc âgées de plus de 40 années et très coûteuses à rénover.
Une alternative existe. En passant par le tunnel du Perthus puis Perpignan et Toulouse, il est possible de convoyer les pèlerins depuis l’Espagne et le Portugal sans rupture de charge dans des rames modernes et rapides. Dans quelques années à l’achèvement du Y Basque, il sera également possible de convoyer les pèlerins par Saint Sebastien et Bayonne encore plus rapidement.
Ainsi, utiliser la ligne Pau – Canfranc – Saragosse pour le transport des pèlerins à Lourdes depuis l’Espagne et le Portugal est techniquement possible. Ce sera difficile, laborieux, très cher mais certainement faisable au prix de très gros efforts. Cette possibilité sera alors en concurrence avec des alternatives beaucoup plus rapides, simples et bien moins chères par le Y Basque et le tunnel du Perthus.
L’exemple du car Toulouse – Saragosse – Madrid opéré par Flixbus
A partir du 14 juin 2018, la ligne de car 748 opérée par la compagnie Flixbus desservait Toulouse à Madrid par Tarbes, Pau, Oloron-Sainte-Marie, le tunnel routier de Somport et Saragosse avec un aller-retour quotidien. La durée du trajet de Toulouse à Madrid était de 10h35min dont 04h10min de Pau à Saragosse. Cette ligne de car n’a jamais trouvé son public et a été remplacée en 2020 par une ligne de nuit directe de Toulouse à Madrid passant par le tunnel de Vielha et Saragosse en 09h45min
Le mercredi 30 janvier 2019, l’un de ces cars s’est renversé à Ogeu-les-Bains à la suite d’un accident de circulation. Les articles de presse nous apprennent qu’il y avait uniquement 3 passagers dans ce car [8] [9] [10]. Certes, le mois de janvier n’est pas un mois touristique, mais 3 passagers dans un car susceptible d’en transporter une cinquantaine montre bien le peu d’intérêt que représente une ligne de Toulouse à Madrid par Pau et Saragosse. Si la compagnie Flixbus a arrêté cette ligne pour la remplacer par une ligne directe plus rapide, c’est que la demande à Tarbes, Pau et Oloron pour se rendre à Saragosse était bien faible. Preuve supplémentaire qu’un train de Pau à Saragosse ne risque pas d’attirer beaucoup de voyageurs.
L’exemple du TGV Toulouse – Barcelone opéré par la SNCF et la RENFE
A partir du 15 décembre 2013, une liaison journalière aller-retour par TGV en 3h12min de Toulouse à Barcelone a été opérée par la SNCF en coopération avec la RENFE [11]. Cette liaison utilisait le tunnel du Perthus et la nouvelle LGV de Perpignan à Barcelone. En 2014 pour la première année d’exploitation, la fréquentation ne fut que de 36 000 voyageurs et l’année 2015 fut encore pire. Avec le changement des horaires désormais mieux adaptés et une desserte uniquement d’avril à septembre, la fréquentation a augmentée en 2016 avec 40 000 passagers puis a atteint son paroxysme en 2017 avec 55 000 passagers, soit en moyenne 300 passagers par jour [12]. Les printemps et étés 2018 et 2019 furent décevants. En raison de la crise sanitaire, la desserte a été suspendue provisoirement en 2020 et 2021. L’exploitation n’a jamais repris, et le coup de grâce est arrivé le 8 novembre 2021 avec l’annonce de la décision d’abandonner définitivement la liaison entre les deux métropoles [13].
Si Barcelone, avec son agglomération de 4 800 000 d’habitants et qui est une métropole très touristique et mondialement célèbre, n’attire que 300 passagers journaliers par TGV depuis Toulouse, on voit mal comment Saragosse avec son agglomération de 680 000 habitants pourrait déjà attirer 50 passagers journaliers depuis Toulouse pour un voyage qui durerait au minimum 7h00. Il faut être réaliste, si une telle liaison venait à exister depuis Canfranc, ce serait un échec cuisant avec arrêt de l’exploitation après une ou deux années.
En conclusion
Il est bien difficile de s’avancer sur des hypothèses de fréquentation d’une ligne Pau – Canfranc – Saragosse réouverte. Passer d’une fréquentation journalière actuelle de l’ordre de 400 à 500 passagers dans une estimation haute à plusieurs milliers de passagers dans une zone très peu densément peuplée avec aucune activité industrielle et des hypothétiques activités touristiques, signifie s’engager sur des hypothèses de travail bien peu réalistes. Les études officielles et officieuse tablent sur 500 à 1 400 voyageurs par jour, ce qui reste très faible. Cette faible fréquentation explique la volonté des politiciens locaux de prendre en compte le trafic de marchandises pour tenter de justifier une réouverture de la ligne. Dans tous les cas, seule une étude socio-économique de qualité sera capable de déterminer un potentiel exact de voyageurs et ce type d’étude est un préalable à toute décision quant à une éventuelle réouverture de la ligne Pau – Canfranc – Saragosse.
Quelques références
[1] : INSEE – https://www.insee.fr/fr/statistiques/5650720 – Recensement de la population – Base infracommunale (IRIS) – Population en 2018 – 21 octobre 2021
[2] : Livre Blanc – Les leviers d’optimisation du trafic de la ligne Pau-Canfranc-Saragosse – Avec le projet Canfraneus – Fundacion Tranpirenaica, Région Nouvelle-Aquitaine, Interreg POCTEFA, Gobierno de Aragon – décembre 2019
[3] : Vallée d’Aspe : la passerelle himalayenne sera bientôt livrée, mais le fort du Portalet restera fermé – Luce Gardères – Sud-Ouest – 7 mai 2021
[4] : Fort du Portalet : des relations transfrontalières au beau fixe – Benjamin Roullier – Sud-Ouest – 21 septembre 2021
[5] : Arrancan las obras para convertir la estación de Canfranc en un hotel de lujo – Rubén Darío Nuñez – Heraldo de Aragon – 28 julio 2021
[6] : Gare de Canfranc : une première pierre pour le futur hôtel cinq étoiles – Gabriel Blaise – Sud Ouest – 29 juillet 2021
[7] : El Gobierno aragonés avala la unión de estaciones de esquí para asegurar su financiación con fondos europeos – Jorge Alonso – Heraldo de Aragón – 2 noviembre 2021
[8] : Accident sur la RN134 à Ogeu : un car renversé, aucun blessé n’est à déplorer – Gildas Boennec – La République des Pyrénées – 30 janvier 2019
[9] : Ogeu (64) : un car de tourisme finit sur le flanc, dans le fossé – Olivier Bonnefon, Marie-Claude Lasserre – Sud-Ouest – 30 janvier 2019
[10] : Un car se couche dans le fossé sur la RN 134 à Ogeu-les-Bains – Daniel Corsand, Axelle Labbé – France Bleu – 30 janvier 2019
[11] : Toulouse à 3h de Barcelone en TGV – La Dépêche – 16 décembre 2013
[12] : Occitanie/Catalogne: une frontière tenace – VoieMidi – Actu TER Occitanie – 9 mars 2020
[13] : La ligne TGV Toulouse-Barcelone bel et bien enterrée – Mathieu Ferri – France Bleu Occitanie – 8 novembre 2021