Fiasco et gabegie de Pau à Bedous

Les coûts d’investissement de la rénovation Pau – Oloron

“Des investissements, c’est de l’argent.


De ce côté-là, ça ressemble pas mal à des dépenses.”

Ronald Lavallée – Tchipayuk ou le chemin du loup – 1987

En hiver, il fait aussi froid dans le grand-nord canadien qu’en vallée d’Aspe. Et pourtant, les indiens aspois ont bien loin d’avoir la sagesse de leur cousins indiens du Canada, surtout lorsqu’il s’agit d’investir dans des infrastructures ferroviaires.

Résumé de l’article

En 2010 a lieu la rénovation de la ligne Pau – Oloron. Pour faire vivre son fantasme de la réouverture jusqu’à Canfranc, la Région Aquitaine fait enlever la caténaire et achète des vieilles automotrices diesel X73500. Associée à l’Etat et à RFF, la Région investit ensuite 35M€ pour avoir une régression dans les infrastructures, un bilan médiocre et des usagers en colère. Quel gâchis ! alors qu’existait une solution tramway de Pau à Bidos bien plus efficace…

Version initiale du 21 janvier 2024, mise à jour au 30 janvier 2024

La rénovation de Pau à Oloron-Sainte-Marie en 2010-2011

L’histoire de cette section

La section de ligne Pau – Oloron a été mise en service en 1883 et exploitée originellement par la Compagnie du Midi en traction à vapeur. La ligne entière a été électrifié en tension de 1 500V en avril 1928 puis exploitée en traction électrique. Etant une ligne de faible intérêt, elle n’a fait l’objet tout au long du XXème siècle que de maintenance à son niveau minimal et n’a jamais connu de rénovation importante. Son vieillissement implique de nombreuses Limitations Temporaires de Vitesse si bien qu’une rénovation de grande ampleur est sérieusement envisagée dès les années 1990.

En novembre 1997, la Région Aquitaine et le Département des Pyrénées-Atlantiques annoncent vouloir desélectrifier la ligne pour limiter les coûts de maintenance et remplacer les automotrices électriques Z2 par des automotrices diesel X2200 malgré un coût d’exploitation plus élevé en traction thermique. Le projet n’aboutit pas, en effet, toute opération sur cette section est intimement liée à la réouverture totale de la ligne Pau – Canfranc – Saragosse.

Des études pour une rénovation en traction électrique 25kV

A la suite de l’élection d’Alain Rousset comme Président de la Région Aquitaine en mars 1998, la politique à l’égard de la réouverture de la ligne ferroviaire Pau – Canfranc – Saragosse change radicalement. En 1999, la Région mandate le cabinet d’études JLR/SYSTRA pour réaliser l’”Etude Oloron – Canfranc par JLR / SYSTRA 1999-2000″. Ce bureau d’études propose la rénovation totale de la ligne en électrifiant à la tension de 25kV et en permettant une exploitation pour les voyageurs et les marchandises. Il estime le coût de la rénovation complète de la section de Pau – Oloron en traction électrique 25kV à 40M€.

A la suite d’études plus approfondies par RFF, un budget de 340M€ est inscrit au CPER 2000-2006 dont 52M€ pour la rénovation de la seule section de Pau – Oloron en traction électrique 25kV.

Devant ces différences de coûts de rénovation, la Région mandate le bureau d’études TTK pour réaliser en 2004 l’”Audit Phase 1 des études SNCF et SYSTRA / EPYPSA par TTK 2004-2006″. En reprenant et optimisant les études précédentes, TTK estime désormais le coût de la rénovation de Pau – Oloron en traction électrique 25kV à 45M€.

Aucune décision n’est prise par la Région et le budget de 340M€ du CPER 2000-2006 n’est pas consommé.

En attendant, la ligne continue de vieillir, et en juin 2007, RFF réalise des travaux d’un coût de 300k€ pour supprimer un ralentissement qui allonge la durée du trajet de 3 minutes.

La desélectrification

Un événement important se produit en 2006. L’entreprise Messier-Dowty, aujourd’hui Safran Landing Systems, annonce vouloir agrandir ses locaux de Bidos. Pour cela, il s’avère nécessaire de récupérer le foncier de la sous-station électrique 1 500V de RFF. Dans un premier temps, La Région prévoit de déplacer cette sous-station de quelques centaines de mètres.

Devant les coûts élevés des travaux estimés à 2,7M€, la Région envisage alors une autre solution : supprimer cette sous-station de Bidos, puis électrifier toute la ligne ferroviaire Pau – Canfranc – Saragosse en 25kV, ce qui impliquerait l’installation d’une seule sous-station sur tout le linéaire de la ligne, sous-station qui serait située loin de Bidos, ainsi qu’un passage provisoire en traction thermique le temps des travaux de réouverture complète de la ligne prévue en 2015.

Voyant l’entourloupe se profiler, 200 cheminots de la SNCF sont furieux et le font savoir au Président de la Région Aquitaine en déplacement à Oloron-Sainte-Marie le 25 août 2008. Ce dernier fait alors le serment que la desélectrification sera provisoire, le temps d’électrifier toute la ligne en 25kV. La Région mandate et finance RFF afin de supprimer cette sous-station électrique de Bidos en septembre 2008 pour un coût de 180k€.

Dès le 1er septembre 2008, des automotrices diesel X2200 remplacent les automotrices électriques Z2 avec un surcoût d’exploitation de 380k€ par an. Le mal est fait, plus de 15 années plus tard, la solution provisoire s’éternise et devient désormais permanente.

Le serment du Président de la Région Aquitaine n’a pas été tenu, ce qui constitue un nouveau mensonge de sa part. 

Les travaux de rénovation

Les travaux de rénovation en traction thermique sont désormais estimés à 35M€. Le budget est inscrit dans le CPER 2007-2013 et est partagé entre la Région Aquitaine pour 37,5%, soit 13,125M€, l’Etat pour 37,5%, soit 13,125M€, et RFF pour 25%, soit 8,75M€. Les objectifs sont ambitieux puisqu’il s’agit de rénover une ligne pour les 40 prochaines années et destinée au trafic des voyageurs et des marchandises pour desservir les entreprises Lindt et Messier-Dowty.

Il est envisagé d’augmenter le nombre d’aller-retours de 7 à 9, puis à 10 en décembre 2011 avec un cadencement aux 2 heures en heures creuses et à 1 heure en heures de pointe en réactivant l’évitement de Buzy. A cet effet, la signalisation doit être modernisée pour abandonner le vieux Cantonnement Téléphonique d’origine et le remplacer par du Block Automatique. De plus, pour tenir ces objectifs, la Région Aquitaine achète, en décembre 2009, 6 automotrices X73500 d’occasion âgées de 9 ans pour la somme de 5,4M€, soit 900k€ l’unité, à la Région Alsace. Selon le Vice-Président de la Région Aquitaine en charge des Transports, Bernard Uthurry, ces automotrices X73500 ont un niveau de confort équivalent à celui des TGV.

Les études débutent en 2008 pour 16 mois, la Région accepte d’avancer la part du financement de l’Etat pour que RFF puisse exécuter les travaux. Ces travaux réalisés par Colas Rail débutent le 1er juillet 2010 pour officiellement 3 à 4 mois. Ils consistent à remplacer le ballast, les traverses, les vieux rails double-champignon, ceci afin de supprimer les Limitations Temporaires de Vitesse et de revenir aux performances initiales de la ligne sans amélioration de ces performances. Les câbles de la caténaire 1 500V sont enlevés, les ouvrages d’art sont réparés, les platelages de 26 passages à niveau sont refaits, les quais des haltes sont mis à la hauteur standard. Mais comme le budget de 35M€ est bien insuffisant, des sacrifices doivent être réalisés. La plateforme, vieille de près de 130 ans, est à peine retravaillée. La signalisation de type Block Automatique n’est pas installée, la signalisation d’origine de type Cantonnement Téléphonique est conservée, RFF se contente uniquement de lui adjoindre le Cantonnement Assisté Par Informatique.

La réouverture de la ligne est effectuée le 24 janvier 2011 après 7 mois de travaux soit deux fois plus que prévu initialement. L’inauguration officielle a lieu le 17 février 2017, et à cette occasion, une rame X73500 est baptisée “Canfranc”.

Très vite, la déception et des travaux faits au rabais

La déception est inversement proportionnelle à l’espoir suscité par cette rénovation. L’évitement de Buzy n’a pas été réactivé faute de Block Automatique, le trajet dure toujours 35 minutes, le cadencement ne peut pas être mis en œuvre faute d’évitement à Buzy, le nombre d’allers-retours reste toujours à 8, aucun train de marchandises ne circule sur la ligne, les sociétés Lindt et Messier-Dowty n’y voient strictement aucun intérêt à utiliser ce moyen.

En raison d’un budget limité, les travaux ont été faits au rabais et les problèmes d’infrastructure ne tardent pas à arriver. Un fontis s’effondre à Buzy en octobre 2012, un ralentissement est alors établi et le temps de trajet est allongé de 3 minutes. Les travaux de consolidation seront effectués deux années plus tard en 2014.

Le 15 avril 2014, un affaissement de terrain au Haut-de-Gan oblige à arrêter l’exploitation ferroviaire et à la remplacer par des bus de substitution. La mise en place d’un ouvrage de stabilisation permet le retour des circulations ferroviaires le 21 juillet 2014.

Le 16 juillet 2018, une coulée de boue provoquée par de fortes pluies près de la gare de Buzy oblige à stopper toutes les circulations le temps de réparer la voie sur une vingtaine de mètres. Le retour à la normale a lieu le 31 juillet 2018 avec la mise en place de ralentissements.

En l’année 2020, la crise sanitaire a un effet délétère sur la circulation des trains entre Pau et Bedous. Déjà soumise à de fortes annulations depuis décembre 2019 en raison de nombreux mouvements sociaux, la ligne est fermée dès le mois de mars et ne rouvre que le 11 mai 2020 sur la section de Pau à Oloron.

Le passage à niveau d’Herrère doit être supprimé, ce qui sera finalement fait en 2021 pour un coût de plus de 8M€.

Le 24 octobre 2022, des travaux sur une ligne électrique à hauteur de Bizanos oblige à couper la ligne ferroviaire jusqu’au 13 novembre 2022, des bus de substitution sont mis en place.

De février à la mi-mars 2023, un premier chantier de rénovation du pont polygonal en sortie de gare de Pau est effectué de nuit sans coupure des circulations. Ce chantier consiste à changer toutes les traverses et n’est rien à côté du chantier d’ampleur qui devra être effectué à terme sur ce pont. Ce chantier d’un coût de 500k€ est financé pour 330k€ par la Région et 170k€ par l’Etat.

De nouvelles études sont faites en 2011 puis en 2020 pour remettre en service l’évitement de Buzy, ce qui obligerait à modifier la signalisation pour installer du Block Automatique.

La colère gronde chez les usagers. Lors d’une réunion avec la FNAUT le 18 septembre 2015, les usagers ne comprennent pas que 35M€ ait été dépensées pour de si piètres prestations. Ils se plaignent du confort médiocre des automotrices X73500 qui vieillissent mal et qui sont bien loin du confort des TGV, de la durée du trajet qui n’a pas diminué, des nombreux retards et annulations et de l’absence du cadencement. L’exploitation est calamiteuse avec respectivement 480, 1 672 et 723 suppressions des circulations en 2011, 2014 et 2015. La fréquentation stagne de 400 à 450 voyageurs par jour, soit une moyenne de 20 à 25 voyageurs par circulation. Devant tant de difficultés, de nombreux usagers renoncent et reprennent leurs véhicules personnels pour se déplacer.

Tout cela pour ça !

Tout cela pour ça, serait-on tenté de dire ! Car il y avait une autre solution bien plus efficace : transformer la voie unique en voie double adaptée aux tramways de Pau à Bidos. Une vitesse moindre et un temps de trajet plus long, certes, mais des dessertes des centres-villes, un cadencement aux 15 à 30 minutes, des services tôt le matin et tard le soir, le confort du matériel électrique, pas de nécessité de supprimer le passage à niveau d’Herrère, une plus grande robustesse et fiabilité…

Que de regrets !  https://croc-aspe.com/?page_id=798