Promesses et mensonges de la réouverture

de la ligne d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous 

“Chacun tourne en réalités,

Autant qu’il peut, ses propres songes :

L’homme est de glace aux vérités ;

Il est de feu pour les mensonges.”

Jean de La Fontaine (1621 – 1695) – Le Statuaire et la Statue de Jupiter –

Livre IX – Fable 6 – 1678

La glace des glaciers des Pyrénées ne cesse de fondre, non à cause du feu des écobuages, mais sous le feu des mensonges de nos politiciens locaux qui se révèlent jour après jour ! Petite revue de toutes les fausses promesses et de tous les vrais mensonges qui ont été entendus pour légitimer la réouverture de la ligne ferroviaire d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous et qui sont encore utilisés pour justifier le prolongement jusqu’à Canfranc.

Résumé de l’article

Cet article recense toutes les promesses non tenues et tous les mensonges proférés pour justifier de la réouverture de la section Oloron-Sainte-Marie à Bedous, puis pour justifier une future prolongation jusqu’à Canfranc. Concernant la promesse de désenclavement, les recensements de l’INSEE montrent que la population en vallée d’Aspe diminue depuis 2016 et les articles de journaux montrent que les fermetures de classes sont toujours d’actualité. Concernant la réduction des gaz à effet de serre, les comparaisons entre émissions de CO2 des passagers des automotrices X73500 et émissions de CO2 de véhicules essence, gasoil, hybrides montrent que chaque passager du train émet 1,7 à 2,7 fois plus de CO2 que s’il utilisait une voiture, voire même de 3,0 à 4,8 fois plus en prenant en compte les données de la Cour des comptes. Concernant le report modal des salariés de Safran Landing Systems, les voyageurs en train représentent moins de 2,5% des salariés. Concernant l’investissement pour un siècle, l’histoire montre que les investissements ferroviaires qui n’ont pas tenu un siècle sont légion en région Nouvelle-Aquitaine.

Version initiale du 14 décembre 2021, dernière mise à jour au 4 janvier 2024

Le désenclavement de la vallée d’Aspe

Voici ce que n’hésitait pas à expliquer le premier de nos politiciens locaux lors d’un reportage sur le journal de 20h de France 2 : “C’est tout simplement l’aménagement du territoire. Cette vallée se dépeuple, rouvrir une voie ferrée, c’est la redynamiser” [1]. C’est d’ailleurs l’une des quatre justifications du projet de réouverture des circulations d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous et mise en avant en page 11 de la Déclaration d’Utilité Publique : “Réhabiliter une liaison ferroviaire de voyageurs dans cette vallée longtemps enclavée” [2]. Logiquement, l’on devrait donc s’attendre à une augmentation de la population dans la vallée d’Aspe et en particulier entre Oloron-Sainte-Marie et Bedous à partir de la date de la réouverture de 2016. Pourtant et bien au contraire, les recensements de l’INSEE effectués chaque année montrent tout l’opposé : la vallée ne cesse de se dépeupler malgré la présence du train [4].

Les populations des villes et villages en vallée d’Aspe et d’Ossau de 2010 à 2021 sont les suivantes :

Années201020112012201320142015201620172018201920202021
Ville de Pau81 16679 79878 50677 57577 48977 21577 25177 13076 27575 62775 66577 066
Villages de Pau à Oloron-Sainte-Marie23 30423 47423 54523 67323 80423 78323 73023 76423 84523 88323 82023 777
Ville d’Oloron-Sainte-Marie10 80010 85410 67810 79410 82410 81810 79110 68410 62910 59410 65310 616
Villages d’Oloron à Bedous5 9885 9806 0196 0796 0936 0766 0626 0426 0125 9985 9816 005
Villages de Bedous au Somport1 2851 2871 3071 3051 3011 2781 2551 2331 2091 1981 1811 165
Villages de Buzy à Laruns7 0376 9736 8826 8186 7816 7396 6696 6196 5556 5516 5656 565

Avec :

  • villages de Pau à Oloron-Sainte-Marie : Buziet, Buzy, Escou, Escout, Estos, Gan, Gelos, Goès, Herrère, Jurançon, Lasseubetat, Ledeuix, Moumour, Ogeu-les-Bains, Précilhon ;
  • villages d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous : Agnos, Asasp-Arros, Aydius, Bedous, Bidos, Escot, Eysus, Gurmençon, Issor, Lourdios-Ichère, Lurbe-Saint-Christau, Osse-en-Aspe, Sarrance ;
  • villages de Bedous au Somport : Accous, Borce, Cette-Eygun, Etsaut, Lées-Athas, Lescun, Urdos ;
  • villages de Buzy à Laruns : Arudy, Aste-Béon, Béost, Bielle, Bilhères, Castet, Eaux-Bonnes, Gère-Bélesten, Izeste, Laruns, Louvie-Juzon, Louvie-Soubiron.

En prenant en compte une base 100 à la date de 2015, année précédant la réouverture de la ligne Oloron-Sainte-Marie à Bedous, les variations et graphiques d’évolution des populations pour chaque entité géographique sont les suivants :

Années201020112012201320142015201620172018201920202021
Ville de Pau105,1103,3101,7100,5100,4100,0100,099,998,897,998,099,8
Villages de Pau à Oloron-Sainte-Marie98,098,799,099,5100,1100,099,899,9100,3100,4100,2100,0
Ville d’Oloron-Sainte-Marie99,8100,398,799,8100,1100,099,898,898,397,998,598,1
Villages d’Oloron à Bedous98,698,499,1100,0100,3100,099,899,498,998,798,498,8
Villages de Bedous au Somport100,5100,7102,3102,1101,8100,098,296,594,693,792,491,2
Villages de Buzy à Laruns104,4103,5102,1101,2100,6100,099,098,297,397,297,497,4

Ainsi, alors que la ligne ferroviaire d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous était en phase de travaux, la population entre ces deux villes a augmenté d’environ 2% de 2010 à 2014. Puis cette même population a diminué d’environ 1,2% de 2015 à 2021 alors que la ligne était rouverte avec 4 allers-retours quotidiens. Qui plus est, au-delà de Bedous, la population n’a cessé de diminuer d’une valeur d’environ 8,8% de 2015 à 2021. C’est d’ailleurs ce que révèle les analyses des journalistes sur la base des recensements de l’INSEE de 2020 [5] et 2021 [6]. Loin d’attirer les habitants, l’arrivée du train les chasse et accentue le désenclavement de la vallée d’Aspe. La contradiction est donc poussée à son paroxysme : faire croire que le train attire de nouveaux habitants dans la vallée alors que la réalité est l’exacte opposée.

On remarque également que de Buzy à Laruns, la diminution de la population est du même ordre, montrant que la présence d’une ligne ferroviaire n’est pas la solution miracle pour désenclaver les vallées pyrénéennes.

Seuls, les villages situés entre Pau et Oloron-Sainte-Marie profiteraient de la présence des liaisons ferroviaires avec une population totale qui augmente. Mais en regardant dans les détails, ce sont surtout les villes de Gelos et de Gan dont les populations ont augmenté de respectivement 110 et 94 habitants entre 2016 et 2021 qui sont les seules villes responsables de cette croissance. Est-ce à dire que la vingtaine de voyageurs qui montent et descendent chaque jour aux haltes de Croix-du-Prince et de Gan explique cette augmentation de population ? La réponse est évidemment négative, puisque ces nouveaux habitants sont tous motorisés et utilisent leurs véhicules personnels ou les lignes de bus urbain n°5, n°11 et n°15, surtout à Gelos, pour effectuer leurs déplacements.

La désertification se concrétise d’ailleurs dans les effectifs des écoles de la communauté éducative de la vallée d’Aspe. Autant les enfants furent plus nombreux à la rentrée 2012 avec une institutrice n’hésitant pas à dire “Il y a des décennies que l’on n’avait pas vu ça !” [7], autant c’est la déconvenue depuis 2018 avec des effectifs qui diminuent, ce qui fit dire au maire de Bedous : “Depuis 2018, chaque année, l’effectif global baisse : 65 en 2018, 59 en 2019, et 55, cette année” [8]. L’hémorragie ne se termine malheureusement pas avec de grandes inquiétudes pour les futures rentrées comme l’évoquent divers articles qui tendent à démontrer la volonté de l’inspection d’académie de réduire les effectifs du personnel enseignant [9] [10] [11] [12] [13] [14]. Ce n’est que grâce à la mobilisation des parents d’élèves et des élus, dont certains sont paradoxalement des partisans de la réouverture jusqu’à Canfranc, que l’inspection académique recule [15] [16]. Pourtant, l’argument de la réouverture de la ligne Oloron-Sainte-Marie – Bedous était encore utilisé avant sa remise en service pour dynamiser l’attractivité des villages par l’un de nos politiciens locaux : “Si la baisse des élèves est liée à une problématique nationale de faible natalité, nous sommes en mesure de dynamiser l’attractivité des villages du Haut-Béarn, en améliorant leur accessibilité. Cela passe par une politique ambitieuse en terme de transports : l’amélioration de la RN134 et la construction de la voie ferrée Pau-Canfranc vont dans ce sens” [17].

Les autres services publics pâtissent d’ailleurs de cette situation, puisque l’hôpital d’Oloron-Sainte-Marie accumule, année après année, les crises et les fermetures de services et la Poste de Bedous se réorganise avec une fermeture envisagée de ses locaux [18].

Les professionnels de la vallée d’Aspe disent eux-mêmes que cette liaison entre Oloron-Sainte-Marie et Bedous ne redynamise pas leur vallée. C’est ainsi qu’un sondage réalisé dans le cadre du projet de création du Géotrain [19] pages 67, 68 et 146 auprès de plusieurs acteurs du tourisme montre que, parmi les 15 réponses reçues :

  • 2 acteurs du tourisme seulement estiment que la fréquentation a augmenté avec la réouverture de la section ;
  • 11 acteurs du tourisme n’ont vu aucun changement ;
  • 1 acteur du tourisme estime même qu’il y a eu diminution de l’activité.

La réouverture de la ligne Oloron-Sainte-Marie – Bedous n’a pas permis de désenclaver et de redynamiser la vallée d’Aspe. Bien au contraire, en plus d’avoir coûté très cher en investissement et de maintenant coûter très cher en exploitation, cette ligne ferroviaire accélère l’exode rural et la désertification : l’exacte opposé à ce qui avait été initialement promis. Nos politiciens locaux ont donc tout faux et nous ont bien menti ! 

La réduction des gaz à effet de serre

Un des grands avantages du transport ferroviaire par rapport au transport routier est la moindre émission des gaz à effet de serre. C’est d’ailleurs deux des quatre justifications du projet de réouverture des circulations d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous et mise en avant en page 11 de la Déclaration d’Utilité Publique : “Offrir une alternative aux liaisons routières” et “Améliorer la mobilité tout en préservant l’environnement” [2]. Ceci est d’autant plus vrai que la ligne est électrifiée. Malheureusement, en 2010 et pour limiter les coûts des travaux de rénovation, un choix néfaste a été fait de moderniser la section de Pau à Oloron-Sainte-Marie en désélectrifiant par suppression définitive de la caténaire. De même, vue l’envolée des coûts d’investissement, la section d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous a été régénérée sans caténaire. Les automotrices électriques Z7100 ont alors été remplacées par des automotrices diesel X73500, certes plus modernes, mais qui ne sont pas reconnues comme étant très vertueuses en matière d’émission de polluants et de gaz à effet de serre. Se pose alors la question de savoir si l’utilisation du train est plus économe en émission de gaz à effet de serre de type dioxyde de carbone CO2 par rapport à l’utilisation de véhicules personnels à essence, diesel ou hydrides.

Répondre à cette question suppose d’estimer les émissions de dioxyde de carbone CO2 pour chaque voyageur prenant le train par rapport à ce même voyageur utilisant son véhicule personnel.

La fréquentation de la section d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous de 2017 à 2022 est connue par la fréquentation en gare :

Nom de la gareDistance depuis OloronVoyageurs par jour
201720182019202020212022
Oloron-Sainte-Marie0,0
Bidos1,81611207914
Lurbe-Saint-Christau9,0536443
Sarrance18,3335344
Bedous24,8493546344545
Total depuis Oloron24,8745277476267

En estimant que chaque voyageur de la section Oloron-Sainte-Marie à Bedous s’arrête, monte ou passe par Oloron-Sainte-Marie pour continuer vers Pau, la fréquentation en voyageurs multipliée par la distance parcourue par jour et par an est la suivante :

Nom de la gareDistance depuis OloronVoyageurs.kilomètres par jour
201720182019202020212022
Oloron-Sainte-Marie0,0000000
Bidos1,8282036121626
Lurbe-Saint-Christau9,0463050363726
Sarrance18,3635089517479
Bedous24,81 2228571 1458311 1221 124
Total24,81 3599571 3209301 2481 254
  Voyageurs.kilomètres par an
Total496 071349 237481 878339 555455 646457 752

L’étape suivante consiste à estimer la distance parcourue chaque année par les automotrices X73500 sur la section d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous. Le nombre quotidien de circulations est de 8 jusqu’à Bedous. D’Oloron-Sainte-Marie à Bidos, le nombre de circulations supplémentaires est de 3 du lundi au vendredi et d’1 les samedis, dimanches et fêtes. Le nombre de voyageurs est considéré pour les jours pour lesquels les circulations sont effectives et sont donc corrigés afin de ne pas prendre en compte des nombreuses suppressions dues aux mouvements sociaux d’avril à juin 2018 et de décembre 2019 à janvier 2020, aux confinements successifs liés à la crise sanitaire en 2020, aux arrêts des circulations d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous en raison de l’effondrement du mur de soutènement du pont de Lescudé au premier semestre 2022. Il est possible d’en déduire la distance théorique et totale effectuée chaque année par les automotrices X73500 sur la section d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous.

AnnéeOloron à Bedous : nombre théorique de circulations par anOloron à Bidos : nombre théorique de circulations par anDistance estimée par an en km
distance
en km
lundi au vendredisamedi, dimanche et fêtesdistance
en km
lundi au vendredisamedi, dimanche et fêtes
201724,82 0089121,875311473 860
201824,82 0169041,875611373 863
201924,82 0089121,875311473 860
202024,82 0169041,875611373 863
202124,82 0328881,876211173 871
202224,82 0248961,875911273 867

La consommation nominale des automotrices X73500 est estimée de 56l à 60l de gasoil pour 100km selon les diverses études [20] page 4 et [21] page 3. La consommation maximale retenue est de 90l de gasoil pour 100km selon les informations de la Déclaration d’Utilité Publique [3] page 75, [22] page 219 et [23] page 47. Etant donné que ces engins sont âgés est que le profil de la section est complexe avec de nombreuses déclivités, une consommation moyenne de 70l par 100km peut être retenue. Il est ainsi possible d’évaluer la consommation annuelle de gasoil des automotrices, puis la consommation par voyageur et par kilomètre parcouru. En définitive, en considérant une équivalence de 2 640g de CO2 rejeté pour un litre de gasoil, se déduisent les émissions de CO2 par voyageur :

AnnéeConsommation annuelle
de gasoil en l
Consommation de gasoil
par voyageur en l/100km
Emissions de CO2
par voyageur en g/km
nominalemoyennemaximalenominalemoyennemaximalenominalemoyennemaximale
201741 36151 70266 4748,310,413,4220275354
201841 36451 70466 47711,814,819,0313391503
201941 36151 70266 4748,610,713,8227283364
202041 36451 70466 47712,215,219,6322402517
202141 36851 70966 4849,111,314,6240300385
202241 36651 70766 4809,011,314,5239298383
       260325418

Ainsi, en première approche, il est envisageable d’estimer que chaque voyageur transporté par les automotrices X73500 émet l’équivalent d’environ 260 à 330g de CO2 par kilomètre parcouru. 

Concernant les véhicules, la consommation est très dépendante du type d’énergie et de la date d’achat du véhicule [24]. Ainsi, la consommation moyenne qui est retenue selon le type d’énergie est la suivante :

 

Année d’achat du véhiculeConsommation par véhicule en l/100km
essencegasoilhybride non-rechargeablehybride rechargeableélectrique
19997,16,0
20095,65,1
20195,64,44,41,30

Puis, en considérant une équivalence de 2 390g de CO2 rejeté pour un litre d’essence et de 2 640g de CO2 rejeté pour un litre de gasoil, se déduisent les émissions de CO2 par type de véhicule :

 

Année d’achat du véhiculeEmissions de CO2 par véhicule en g/km
essencegasoilhybride non-rechargeablehybride rechargeableélectrique
1999170158
2009134135
2019134116105310

En considérant une occupation de 1,1 passager par véhicule telle que retenue par la Déclaration d’Utilité Publique [3] page 50, les émissions de CO2 par voyageur sont alors les suivantes :

 

Année d’achat du véhiculeEmissions de CO2 par voyageur en g/km
essencegasoilhybride non-rechargeablehybride rechargeableélectrique
1999154144
2009122122
201912210696280

Ainsi, en première approche, il est envisageable d’estimer que chaque voyageur qui utilise son véhicule émet l’équivalent d’environ :

  • 150g de CO2 par kilomètre parcouru avec un véhicule essence ou diesel ancien ;
  • 120g de CO2 par kilomètre parcouru avec un véhicule essence ou diesel récent ;
  • moins de 40g de CO2 par kilomètre parcouru avec un véhicule hybride rechargeable ;
  • 0g de CO2 par kilomètre parcouru avec un véhicule électrique.

Ainsi, un voyageur qui utilise le train émet 1,7 à 2,7 fois de plus de gaz à effet de serre qu’en utilisant son véhicule personnel. Si ce dernier est hybride rechargeable, alors le train représente 6,5 à 8,1 fois plus d’émissions de CO2. Sachant que ce type de véhicule se développera de plus en plus au détriment de véhicules plus anciens et que les automotrices X73500 ne seront pas renouvelées d’ici au moins 20 années, l’écart ne cessera de se creuser en défaveur de l’automotrice.

Ces valeurs sont confirmées et même très sous-évaluées par un calcul similaire réalisé par la Cour des comptes dans son rapport sur les TER en pages 58 à 61 [25]. En prenant l’exemple de la section de Saumur à La-Roche-sur-Yon qui voit circuler des TER diesel transportant en moyenne 10 voyageurs par circulation, la Cour des comptes estime les émissions de CO2 à 539g par voyageur et par kilomètre parcouru. Pour arriver à ce résultat, la Cour des comptes s’appuie sur les données de SNCF Mobilités qui estime la consommation d’un autorail de 80 à 200l de gasoil pour 100km. De même, elle estime qu’une voiture occupée par 1,9 voyageurs émet des émissions de CO2 de 110g par voyageur et par kilomètre parcouru. En transposant à la ligne Oloron-Sainte-Marie à Bedous dont la fréquentation oscille de 5,9 à 9,6 voyageurs par train, les émissions de CO2 varient de 561g à 914g par voyageur et par kilomètre parcouru. De même, avec des voitures occupées par 1,1 voyageurs, les émissions de CO2 sont de 190g par voyageur et par kilomètre parcouru. Ainsi, selon les données de la Cour des comptes, un voyageur qui utilise le train émet 3,0 à 4,8 fois de plus de gaz à effet de serre qu’en utilisant son véhicule personnel.

Si l’on considère les polluants que sont les hydrocarbures imbrûlés, le monoxyde de carbone, les oxydes d’azote et les particules fines, les émissions des automotrices X73500 sont certainement quelques milliers de fois plus importantes que les émissions des véhicules essence ou diesel qui sont dépolluées par des catalyseurs.

Ainsi, utiliser le train plutôt que son véhicule personnel entre Oloron-Sainte-Marie et Bedous contribue à l’augmentation de la pollution dans la vallée d’Aspe ce qui est un paradoxe véritablement navrant et affligeant d’autant plus que l’écart ne cessera de grandir à la défaveur du train.

C’est ainsi que l’on peut avoir d’énormes regrets qu’une solution à base de transport à la demande utilisant des véhicules hybrides n’ait pas était retenue. Cette solution plus flexible aurait certainement intéressé beaucoup de voyageurs et aurait permis de réduire la pollution dans la vallée d’Aspe. Une fois encore, nos politiciens locaux ont donc tout faux et nous ont donc bien menti ! 

Le report modal à Safran Landing Systems

C’était également un argument fort de nos politiciens locaux : transporter de leur domicile à leur travail les salariés de Safran Landing Systems dont l’usine est située juste à côté de la halte de Bidos. C’est d’ailleurs l’une des quatre justifications du projet de réouverture des circulations d’Oloron-Sainte-Marie à Bedous et mise en avant en page 11 de la Déclaration d’Utilité Publique : “Améliorer la desserte de la périphérie d’Oloron-Sainte-Marie, notamment par celle de Bidos” [2]. Ainsi, le report modal est favorisé en évitant aux salariés de se déplacer avec leur véhicule personnel. L’objectif est-il atteint ? En clair, les salariés de Safran Landing Systems se sont-ils appropriés cette ligne ferroviaire pour réaliser leur trajet domicile – travail ?

Pour le savoir, la fréquentation de la halte de Bidos est connue par les données de fréquentation en gare de SNCF. En considérant que les voyageurs de cette halte sont exclusivement des salariés de Safran Landing Systems qui travaillent du lundi au vendredi, il est possible d’estimer le nombre de salariés utilisant ce service :

 Voyageurs par jour
 20152016201720182019202020212022
Bidos0101611207914
 Voyageurs aller et retour par jour ouvré
Salariés SLS07118145610

Ainsi, l’on peut estimer que de 5 à 15 salariés de Safran Landing Systems utilisent la ligne ferroviaire Oloron-Sainte-Marie à Bedous pour leur trajet journalier entre leur domicile et leur travail.

Lors de la Déclaration d’Utilité Publique, une estimation du nombre de salariés susceptibles d’utiliser la ligne ferroviaire avait été réalisée à partir de l’étude de leurs domiciles [3] page 26 et les modélisations montraient qu’il y aurait 625 voyageurs par jour avec la halte de Bidos et 522 voyageurs par jour sans la halte de Bidos, soit 103 voyageurs par jour uniquement grâce à cette halte [3] page 60. En 2010, l’effectif de Safran Landing Systems étaient de 855 salariés, L’effectif est désormais d’environ 750 en 2020. A noter que les très nombreux intérimaires et sous-traitants ne sont pas comptabilisés dans ces effectifs. En reprenant les répartitions par commune du domicile, il est possible d’estimer le nombre de salariés habitant dans chaque commune, et en particulier ceux habitant dans la zone d’étude :

 

  20102020
Oloron-Sainte-Marie17520%154
Vallée d’Aspe46555%408
Pau304%26
Autres communes18522%162
Total855101%750
Zone d’étude66078%579
     
Proportion d’utilisateurs par rapport :MinimaleMaximale
    – à tous les salariés0,7%2,0%
    – à ceux habitant dans la zone d’étude0,9%2,6%

Ce sont donc environ 5 à 15 salariés qui utilisent la ligne ferroviaire par rapport aux 579 salariés qui sont concernés par la proximité de la ligne ferroviaire, sans prendre en compte les intérimaires et sous-traitants. Ceci représente donc une proportion d’environ 1,0 à 2,5%, soit quasiment personne et très loin des 103 voyageurs estimés par la Déclaration d’Utilité Publique.

Ainsi, les salariés de Safran Landing Systems ne sont absolument pas intéressés par utiliser la ligne ferroviaire entre Oloron-Sainte-Marie et Bedous, mais continuent à utiliser leur véhicule personnel comme avant la réouverture. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que le parking du personnel est toujours bien rempli. Le report modal des salariés de Safran Landing Systems est donc absolument inexistant et ce n’est pas en prolongeant la ligne jusqu’à Canfranc que les habitudes changeront. Une fois encore, nos politiciens locaux ont donc tout faux et nous ont donc bien menti ! 

Un investissement pour un siècle

Voici ce qu’en disait le premier de nos politiciens locaux lors d’un reportage de France 3 Nouvelle-Aquitaine : “… un chantier dont les avantages dureront plus d’un siècle, parce que quand vous faites un investissement ferroviaire, vous faites un investissement d’un siècle. Quel est l’investissement public qui est aussi long, ça n’existe pas” [26]. Il est nécessaire de se contenir et de réfléchir avant de faire de grandes envolées lyriques : en effet, les investissements ferroviaires qui n’ont pas tenu un siècle sont légion en région Nouvelle-Aquitaine.

Voici donc une revue non-exhaustives de toutes ces lignes d’Aquitaine que l’on croyait éternelles à leur création et qui ont tiré leur révérence moins qu’un siècle après. Elles sont aujourd’hui déferrées, transformées en voie verte, en totale abandon ou ont disparu à la faveur de nouvelles constructions.

 

DépartementLigne ferroviaireNuméro de ligneDate
d’ouverture
Date de fermeture auxDurée d’ouverture aux
voyageursmarchandisesvoyageursmarchandises
Pyrénées-AtlantiquesPuyoô à Mauléon66200018841968198984105
GirondeNizan à Luxey 18731954197881105
LandesDax à Mont-de-Marsan65400018911970200479113
GirondeBordeaux à La Sauvetat-du-Dropt63700018731951199478121
Pyrénées-AtantiquesBayonne-Anglet-Biarritz 18771953 76 
LandesLangon à Gabarret64100018661938198872122
Lot-et-GaronnePenne-d’Agenais à Tonneins63400018691940199171122
GirondeBordeaux à Lacanau-Océan 1885195419786993
GirondeFacture-Biganos à Lesparre-Médoc 1884195219546870
Lot-et-GaronneMagnac – Touvre à Marmande 18861953 67 
GirondeSaint-Mariens – Saint-Yzan à Blaye 18731939199766124
Pyrénées-AtlantiquesAutevielle à Saint-Palais66300018841949198965105
LandesYchoux à Biscarrosse 18891950198961100
DordogneLa Cave à Ribérac6200001881194019515970
DordogneQuéroy-Pranzac à Thiviers61700018811940198559104
LandesMarmande à Mont-de-Marsan6420001882193819715689
DordogneCondat – Le Lardin à Sarlat6270001883193919515668
Lot-et-GaronneVilleneuve-sur-Lot à Falgueyrat63500019011954 53 
GirondeMarcenais à Libourne5820001887193819605173
GirondeMargaux à Sainte-Hélène 1884193319784994
LandesNérac à Mont-de-Marsan6440001890193819694879
DordogneThiviers à Saint-Aulaire6160001898194019864288
Pyrénées-AtlantiquesPau-Oloron-Mauléon 18901931 41 
DordogneHautefort à Terrasson6230001898193919414143
LandesLabenne à Seignosse 1912195019573845
DordogneCarsac à Gourdon6300001902193819553653
DordogneRibérac à Parcoul – Médillac6190001906194019543448

A la vue de cette liste, l’on ne peut avoir que de grands regrets sur la politique du transport ferroviaire en France des années 1930 aux années 1970. Ce n’est pas pour autant qu’il faille faire de quelconques investissements de réouverture de ligne sans certitude d’une fréquentation conséquente, car sinon les mêmes causes produiront les mêmes effets. Avant de faire de grandes envolées lyriques, un peu d’humilité et de réflexion seraient donc les bienvenues.

Quelques références

[1] : Journal télévisé de 20h – L’œil du 20h – France 2 – 23 novembre 2016

[2] : Reprise des circulations ferroviaires entre Oloron et Bedous – Dossier provisoire d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, à la mise en compatibilité des documents d’urbanisme et à la suppression des passages à niveau – Pièce B – Présentation du projet – RFF – version D – juin 2012

[3] : Reprise des circulations ferroviaires entre Oloron et Bedous – Dossier provisoire d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, à la mise en compatibilité des documents d’urbanisme et à la suppression des passages à niveau – Pièce D – Evaluation socio-économique – RFF – Version E – septembre 2012

[4] : INSEE – https://www.insee.fr/fr/statistiques/2522602 – Historique des populations légales – Recensements de la population 1968-2020 – 29 décembre 2022

[5] : Oloron gagne des habitants, Josbaig en hausse, la Vallée d’Aspe toujours en berne – Gildas Boënnec – La République des Pyrénées – 30 décembre 2022

[6] : Oloron perd des habitants, tandis qu’Arette et la vallée de Josbaig voient leurs populations progresser – Benoît Rouzaud – La République des Pyrénées – 2 janvier 2024

[7] : Ecole primaire en vallée d’Aspe : effectifs en légère hausse – Odile Isern – La République des Pyrénées – 5 septembre 2012

[8] : Des personnels organisés – Sud-Ouest – 2 septembre 2020

[9] : Regroupement pédagogique d’Accous/Bedous : les maires inquiets – Odile Isern – La République des Pyrénées – 29 janvier 2021

[10] : Suppression de postes au RPI d’Accous : parents et élus se mobilisent – Odile Isern – La République des Pyrénées – 25 février 2021

[11] : Accous-Bedous : les parents d’élèves du RPI en colère et mobilisés – Martine Lacout-Loustalet – La République des Pyrénées – 2 mars 2021

[12] : Une classe menacée de fermeture au sein du RPI Agnos – Gurmençon – Gildas Boënnec – La République des Pyrénées – 1er février 2022

[13] : Accous, Un demi-poste en danger à l’école – La République des Pyrénées – 8 février 2023

[14] : Béarn : deux écoles menacées par des fermetures de postes à Arudy et Accous, Oloron « souffle » – Étienne Czernecka – Sud-Ouest – 1er mars 2023

[15] : Plus de 200 personnes mobilisées à Oloron contre les fermetures de classes en Haut-Béarn – Gildas Boënnec – La République des Pyrénées – 8 février 2022

[16] : Les suppressions de postes annulées à l’école Pondeilh d’Oloron et aux RPI Agnos-Gurmençon et Accous-Bedous – Gildas Boënnec – La République des Pyrénées – 1er mars 2022

[17] : Comment le Haut-Béarn s’adapte à la baisse du nombre d’écoliers – Gildas Boënnec – La République des Pyrénées – 11 avril 2016

[18] : Bedous la réorganisation de la Poste interroge – Odile Isern – La République des Pyrénées – 20 décembre 2021

[19] : Le Géotrain Pyrénéen, un objet géotouristique complexe – Audrey Billerot – Université de Pau et des Pays de l’Adour – 2019

[20] : L’avenir du TER : des transferts sur route ? Idées reçues contre données objectives – FNAUT – Conférence de presse du mercredi 6 février 2013

[21] : Comparaisons autorail – autocar sur des liaisons régionales – Gérard Guyon

[22] : Impact de l’ouverture à la concurrence dans le transport régional ferroviaire de voyageurs sur la consommation d’énergie et sur les émissions de carbone – ADEME – février 2012

[23] : Transports, déplacements et communications pour le Massif central – Volume 4 Scénario de synthèse pour une politique de transports et communications à l’échelle du Massif central – MENSIA – Association pour le développement économique et industriel du Massif central ADIMAC – 3 juillet 2009

[24] : https://carlabelling.ademe.fr/chiffrescles/r/evolutionConsoMoyenne – ADEME Agence de la transition écologique – 2021

[25] : Les transports express régionaux à l’heure de l’ouverture à la concurrence Des réformes tardives, une clarification nécessaire – sous la direction de Didier Migaud, Premier Président – Cour des Comptes Chambres Régionales et Territoriales des Comptes – octobre 2019

[26] : Enquêtes de Région : SNCF : des trains à deux vitesses ? – France 3 Nouvelle-Aquitaine – 18 janvier 2018