Clément Decomble (20/06/1886 Toulouse – 23/04/1971 Toulouse)
Quelques citations extraites de “Un épisode des relations franco-espagnoles. Les chemins de fer Transpyrénéens, leur histoire diplomatique, leur avenir économique” édité chez A. Pedone, Paris en 1913 :
p39 : “Il ne restait plus, dès lors, en présence que les deux tracés du port de Salau et du Somport. Les commissaires les auraient adoptés tous deux et se seraient prononcés définitivement en leur faveur, si une communication faite au Conseil général des Basses-Pyrénées par la Junte provinciale de Navarre n’avait, au dernier moment, attiré l’attention sur une traversée par les vallées de Mauléon et du Roncal, sous le col d’Urdayté. Cette direction était intéressante parce qu’elle était de nature à remplacer, à elle seule, la percée du Somport et celle des Aldudes.”
p49 : en citant M. de Arellano lors de la conférence de 1884 “Durant la guerre civile qui a dévasté l’Espagne, cette voie [la voie de Canfranc] a été la seule qui soit restée ouverte pendant plusieurs années au commerce international. S’il en a été ainsi, c’est parce que « l’Aragon est, avec les Castilles, le cœur de l’Espagne… Dans les moments les plus malheureux, cette province a témoigné une fidélité sans bornes au roi et à la patrie et leur a rendu les plus grands services. Le Gouvernement et les Cortès se sont rappelé de ces circonstances et ont déféré aux désirs d’une région aussi intéressante en accordant la concession d’une ligne de chemin de fer que l’Aragon considère comme la seule qui pourrait desservir ses véritables intérêts; Sa Majesté le Roi s’est alors empressé d’inaugurer les travaux, faisant ainsi concevoir des espérances qu’on ne pourrait plus, aujourd’hui, abandonner ».”
p88 : “Ce n’est que plus tard, lorsque des relations suivies se sont établies entre les ingénieurs des deux pays, que l’on commence à examiner avec soin quel sera le revenu probable des différents passages de la chaîne. Des recherches patientes sont alors faites, portant sur les centres des populations desservies, sur les richesses des régions traversées, sur le trafic international qui ne manquera pas de se porter sur les lignes nouvelles. Le premier résultat de ces investigations est de faire apparaître que le revenu d’un chemin de fer traversant les Pyrénées Centrales est de beaucoup inférieur au revenu d’un chemin de fer traversant les grandes Alpes, à tel point que ce serait préparer un véritable désastre financier que de prévoir, pour les lignes des Pyrénées, des frais de premier établissement sensiblement égaux à ceux des lignes alpines.”
p97 : “Les Pyrénées Centrales ne sont pas, en effet, un obstacle important pour les communications à grandes distances; elles sont si faciles à tourner par voie d’eau et même par voie de terre. De plus, elles ne sont pas en travers d’un courant commercial comparable à celui de la route des Indes qui fait la fortune des tunnels transalpins. A y regarder de près, le bourrelet des Pyrénées n’est que la diagonale la plus courte d’un losange dont les deux pointes s’arrêtent, au nord, bien avant Paris; au sud, bien avant Madrid et Carthagène. Les seules populations qui ont un intérêt immédiat à la traversée des Pyrénées Centrales sont celles que le losange couvre; les autres s’en passent facilement. Ainsi considérés, les transpyrénéens perdent de leur attrait, chemins de fer d’intérêt presque exclusivement local, ils auraient dû, à ce titre, être compris dans le troisième réseau métropolitain. Ils ne sont, en tout cas, pas de taille à détourner l’attention des grands projets coloniaux.”
p193 : “Ainsi, de deux côtés à la fois, par des recettes diminuées d’abord, par des frais augmentés ensuite, l’ouverture des lignes transpyrénéennes risque de porter atteinte au profit net du réseau. La Compagnie du Midi ne pouvait dès lors que se montrer hostile à l’ouverture de ces chemins; elle le fit, avant même que la convention de 1883 soit venue empirer sa situation financière.”
p195 : “Ainsi, si l’Etat est prêt, en 1904, à s’engager dans la construction immédiate des chemins de fer transpyrénéens décidés, la Compagnie, par contre, se montre très hésitante, hostile même.”
p204 : “Tout compte fait, au regard de la contribution de l’Etat, la Compagnie ne supporte qu’une faible part dans les dépenses. Il en sera tout autrement en Espagne, tout autres aussi seront les résultats.”
p209 : “D’où la première conclusion que l’ouverture des lignes transpyrénéennes sera vraisemblablement sans influence appréciable sur le développement du trafic franco-espagnol à grande distance. … Ainsi, à défaut de trafic nouveau à grande distance, l’ouverture des lignes transpyrénéennes paraît promettre, à première vue, un trafic nouveau important à petite distance, et peut-être, par là, sinon la totalité, du moins une bonne part des recettes indispensables pour que l’exploitation des lignes nouvelles n’entraîne pour la Compagnie du Midi aucun supplément de dépenses. Malheureusement, ce n’est là qu’une impression première qu’il faut sans retard revoir et redresser : la question est, en effet, beaucoup plus complexe.”
p229 : “Les raccourcis procurés par les lignes nouvelles n’étant susceptibles d’entraîner comme trafic nouveau qu’un trafic limité aux régions limitrophes des Pyrénées, l’avenir de l’exploitation des trois lignes nouvelles donnera de meilleurs résultats. Que le statu quo douanier soit, au contraire, maintenu et l’on courra le risque de voir apparaître un déficit comme résultat dernier de l’exploitation des trois lignes. … A part les habitants des régions sous-pyrénéennes qui en retireraient quelques bénéfices, après l’ouverture des chemins de fer transpyrénéens, le public, d’autre part, ne serait guère plus avancé qu’auparavant. L’Espagne restant fermée aux échanges, les lignes nouvelles seraient pour lui de bien petite utilité.”
p230 : “Si nous passons, maintenant, à l’examen de chacune des trois lignes dont la construction a été décidée, nous relèverons que deux d’entre elles, celles d’Ax et d’Oloron, courent le risque de ne pas être effectivement suivies par le trafic à grande distance. Si pareille crainte se trouvait un jour justifiée, si, d’autre part, le trafic local en provenance des stations intermédiaires, – (de Portet-Saint-Simon à Mollet (Llerona) et de Gan à Tardienta), – était insuffisant pour occuper à lui seul ces lignes, il faudrait qualifier de « frustratoires » les dépenses engagées dans leur construction, critique extrêmement grave que nous nous contentons d’indiquer, laissant à l’avenir seul le soin d’établir si elle est ou non fondée.”
p239 : “Grâce à ce secours, les travaux furent effectivement poussés et le 1er juin 1893 la ligne était ouverte entre Huesca et Jaca. Ce résultat n’avait pu être atteint qu’au prix de très gros sacrifices. Il n’y a pas 60 kilomètres à vol d’oiseau entre Huesca et Jaca, mais la ligne droite qui joint ces deux points rencontre successivement deux obstacles perpendiculaires et d’importance : les prolongements ouest de la Sierra de Guerra d’abord, les prolongements est de la Sierra de la Peña ensuite. Loin d’aborder de front de tels accidents de terrain, la ligne de Jaca les contourne. Au départ de Huesca, elle court vers l’ouest à la rencontre du Gallego, l’atteint à Murillo (à 478 mètres d’altitude) ; s’orientant dès lors de l’ouest à l’est, la ligne remonte entre deux murailles le thalweg du fleuve jusqu’à Saviñanigo (800 mètres d’altitude); peu après, obliquant vers l’ouest, elle quitte le Gallego pour passser, à ciel ouvert, à 866 mètres le col d’Oronte et redescendre enfin dans le bassin de Jaca après un parcours non plus de 60, mais de 111 kilomètres. Ce n’avait pas été trop de la volonté tenace des Aragonais pour que de tels obstacles aient été vaincus. Cependant, la construction terminée, la Compagnie du Nord se mit en devoir d’exploiter la ligne nouvelle. Elle le fit sans grand succès. Comment en aurait-il été autrement? En 1879, lors de la rédaction d’un mémoire sur le revenu probable de la partie espagnole du chemin de fer d’Oloron à Huesca, les ingénieurs espagnols « malgré les études les plus minutieuses et leur désir d’obtenir un résultat satisfaisant tout en mettant leur Administration à l’abri des reproches ultérieurs d’un soumissionnaire » ne s’étaient-ils pas vu contraints d’arrêter à 15.000 pesetas par kilomètre le rendement de la ligne internationale au bout de 10 ans? Encore faisaient-ils entrer dans leurs calculs « l’appoint du trafic international », qui, selon eux, « compenserait l’infériorité du mouvement local dans les hautes vallées des Pyrénées ». Si donc la ligne de Canfranc ne devait avoir qu’un trafic médiocre en tenant compte des échanges internationaux, à plus forte raison la section de Huesca à Jaca.”
p279 : “On l’a vu, la signature de la Convention de 1904 a été suivie de vives critiques, sa mise en œuvre, de quelques déconvenues. Faut-il s’en étonner? Nullement. « La difficulté de l’entreprise est d’évidence. Pour supprimer les Pyrénées, de gros travaux sont nécessaires, il faut se résigner à de grandes dépenses. » Ainsi, s’expriment les délégués français aux conférences de 1884.”
p280 : “C’est d’abord l’Espagne, qui en 1884, pour récompenser la fidélité des Aragonnais, exige le chemin de Canfranc plus onéreux que celui de Mauléon-Roncal au double point de vue et de la construction et de l’exploitation.”
p280 : “L’Espagne n’a jamais voulu, – témoin l’article 5 de la loi du 2 juillet 1870, – qu’une seule traversée des Pyrénées Centrales, et pour cette traversée, que le chemin de Canfranc. Dès 1882, avec la loi spéciale votée le 2 janvier et les travaux inaugurés le 6 octobre par le roi Alphonse XII en personne, le Gouvernement de Madrid fait tout ce qu’il peut pour arriver à ses fins.”